Infirmerie

L’infirmerie. Une pièce plutôt spacieuse, bien éclairée par de larges fenêtres s’ouvrant sur la cour. En se penchant par ces ouvertures –car l’infirmerie est située au deuxième étage- on peut regarder les soldats s’entraîner (et surveiller ainsi les blessés potentiels …). À l’intérieur de la pièce, quatre lits alignés, en deux rangées, situées de part et d’autre d’une allée centrale. Entre les lits, des chaises plaquées contre le mur. On trouve également une armoire à pharmacie, immédiatement à gauche en entrant. Elle contient tout le nécessaire au soin des blessures et maladies les plus courantes, c’est-à-dire, ici, les coupures de toutes sortes gagnées au combat, et les infections pouvant s’ensuivre.

Athanase ouvrit la porte en appuyant son coude sur la poignée et poussant le bâtant avec le pied, entra et posa Rika sur le lit le plus proche, sur la rangée de gauche. Il l’observa un instant. Elle n’avait pas l’air trop mal en point, finalement, mis à part les blessures que lui-même lui avait infligé. Il fut à nouveau traversé par une vague de culpabilité. Tout était de sa faute, tout était de sa faute, tout … Il se reprit et sorti de l’armoire du désinfectant, des pansements et des bandes de tissu, et entreprit de soigner Rika.

Quelques minutes plus tard, il rangeait calmement le matériel inutilisé. Il s’assit tranquillement sur la chaise la plus proche. Il ne bougerait pas de là tant que l’enfant ne se serait pas réveillée.

Il tentait de donner le change (à quoi bon d’ailleurs, puisqu’il n’y avait personne ?) mais au fond de lui il était effondré … C’était d’ailleurs un de ses principaux traits de caractères : la facilité avec laquelle il endossait la responsabilité des problèmes qui l’entourait, et la culpabilité qui lui perçait le cœur quand quelque chose tournait mal … À l’intérieur de lui-même, il se répétait en boucle qu’il était un incapable. Qu’il ne méritait pas la confiance des autres. Fallait-il alors s’étonner qu’ils ne la lui donnent pas ?

Il se noyait à nouveau dans son éternel problème … Était-ce la mort de ses parents et la responsabilité que, très jeune, cela lui avait conféré, qui l’avaient rendu ainsi ? Impossible à savoir … même pour lui. Il n’avait d’ailleurs pas conscience qu’il se détruisait lui-même en pensant ainsi.

Dans l’infirmerie silencieuse, il continuait sa garde, immobile, en se rongeant les sangs …

Rika, dans son inconscience, avait l'impression de planer. De planer au dessus de la caserne Cross. Au dessus de Lubéria, de l'Echiquier. Elle planait au-dessus de tout cela, au-dessus de la mort, de la vie, et surtout de la guerre ...

Elle se réveilla avec l'impression de s'être étalé sur un tapis remplis de piques, comme ceux des fakirs. Dure réalité. Elle ouvrit vaguement un oeil, puis l'autre, et enfin reconnut son chef.

Ah, chef, c'est vous ! ...

Elle fit une pause, puis se tâta le bras ; cela lui arracha une moue de douleur, et elle retira sa main de son bras.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je me souviens d'être arrivée au terrain d'entraînement, d'avoir commencé à chanter, et après, plus rien ! Le black-out total.

* J'ai l'impression que c'est le troisième jour consécutif où j'ai la gueule de bois ... C'est pas très agréable ... *

* Si tu as encore la force de penser des bêtises, c'est que tu vas mieux que je le pensais ... *

* Haha ... *

Athanase était toujours en train de se lamenter intérieurement, de battre sa coulpe, quand Rika ouvrit un œil. Puis l’autre. Et elle parla. Le jeune homme poussa un soupir de soulagement en son for intérieur. Cependant, l’annonce de sa perte de mémoire le fit replonger dans les abîmes de l’inquiétude …

Et bien … Tu chantais en effet, quand je suis arrivé. Tu as proposé que nous nous entraînions, et tu as même ajouté que si jamais je gagnais tu m’obéirais à l’avenir. Je suis parti chercher un arbitre, en l’occurrence Hélène, et nous avons commencé à nous battre … Mais … Il baissa les yeux, mal à l’aise. Tu avais un comportement bizarre. Comme si ton corps ne t’obéissait plus … Tu as fini par t’assommer toi-même à coup de rapière.

Voilà, tout était dit. Le jeune homme ne savait plus où se mettre, terriblement gêné, car il se sentait coupable, et des blessures de Rika, et de son amnésie. Il s’agita sur sa chaise, puis se leva et se dirigea vers les fenêtres. Il en ouvrit une et fit mine d’admirer le paysage (qui se résumait à du sable, une lance abandonnée, et bien sûr le mur d’en face …). Sans se retourner vers la blessée, il lui demanda comment elle se sentait.

Pas de réponse. Il se retourna vers le lit et croisa le regard de Rika qui l’observait, perplexe, l’air de se demander ce qu’il avait encore. Athanase revint s’asseoir près d’elle et réitéra sa question, en la regardant cette fois, mais sa gêne transparaissait dans la façon qu’il avait de jouer inconsciemment avec la chaînette de Tinùviel qui entourait son poignet gauche.

Oui, il se sentait coupable, il se sentait responsable de ce qui était arrivé à Rika … Pourquoi ? Oh, bien entendu, il se disait qu’il aurait du s’en rendre compte, cesser le combat … Qu’elle était blessée à cause de lui, et cetera, et cetera … Mais pourtant, quand on y réfléchissait, si elle n’avait pas eu cette … appelons ça une « crise » à défaut d’autre mot, si elle ne l’avait pas eu donc, il aurait combattu contre elle et l’aurait de toute évidence blessée de la même façon, car après tout il fallait avouer que Rika n’était pas si abîmée qu’Athanase semblait le croire … Quant à sa crise, il n’y était définitivement pour rien ! Alors ? Pourquoi cette culpabilité irraisonnée ? Pourquoi s’empoisonnait-il la vie comme ça ? Il ne s’en rendait même pas compte … je ne dirai pas « le pauvre » car il donnait plus envie de le frapper que de le plaindre, quand il restait prostré comme cela.

Il attendait avec angoisse la réponse de Rika.

Rika resta perplexe devant la question d'Athanase. Bien sûr qu'elle allait bien ! Pour qui il la prenait ? Rika était Rika, et elle ne changera jamais ... Enfin, "jamais" ne faisait pas partie de son vocabulaire ...

* Athanase ... s'inquiète pour moi ? Après tous les mauvais coups que je lui ai fait subir ??? Moi y'en a pas comprendre le monde des adultes ... *

" Je vais très bien ! ", fit-elle en affichant un grand sourire.

Elle se releva de son lit. Elle se retint de faire une moue de douleur en sentant son bras éraflé. Elle fit de son mieux pour ne rien laisser paraître sur son visage ; après tout, maintenant, elle devait obéir à son chef, et se montrer solide de la confiance qu'il lui porte.

* En vérité, tu ne veux pas qu'il s'inquiète pour toi, pas vrai ? *

* Haha ... Je ne peux rien te cacher, à toi, Rin ... *

Elle se leva complètement hors de son lit, et marcha jusqu'à la porte de la chambre. Bizarrement, un très léger tintement métallique se fit entendre. Rika fit une moue un peu bizarre, genre (-_-'), puis elle dit à son chef :

" Oui, vraiment, je vais très bien ! Et ... au fait ... marci de m'avoir soignée ... "

Puis elle sortit. En vérité, elle avait si bien camouflé ses armes dans son T-shirt et son short que même son chef n'y avait vu que du feu ! Elle alla les ranger au terrain d'entraînement, puis gagna sa chambre ...

Athanase réprima un soupir de soulagement quand il vit Rika se lever et partir sans soucis. Elle allait bien.

À présent seul dans l'infirmerie, sur sa chaise de bois sombre, il prit sa tête entre ses mains et se laissa aller au tremblement qu'il réprimait tandis qu'il parlait à Rika. Oui, bien sûr, il était soulagé à présent, mais avant cela, et bien qu'il n'en ait pas eu conscience, il était crispé à un point incroyable.

Il avait presque l'impression qu'il était plus atteint que la blessée ... En effet, la tête lui tournait. Il se répétait en boucle que ce n'était pas normal de s'inquiéter à ce point, mais en attendant le résultat était là. Recroquevillé sur son siège, il laissait la bride à ce qu’il ne voulait surtout pas montrer aux autres … Pourquoi était-il si faible ?

Il remonta ses genoux et les entoura de ses bras, essayant de calmer les tremblements qui le secouaient tout entier. Il ne voulait pas que des gens soient blessés ! Il voulait seulement que la guerre cesse ! Protéger les autres … Il en avait toujours été incapable, songeait-il avec désespoir. Mais il n’avait pourtant pas le choix. Il avait laissé sa famille pour mieux la protéger de la menace de l’Échiquier, à présent il ne pouvait faire marche arrière … D’autant plus qu’il ignorait comment les autres membres de la Cross Guard lutteraient.

Il fit un effort sur lui-même et se redressa en respirant à fond. Il se laissa une petite minute pour se reprendre, puis se releva et sortit.