Une découverte imprévue ...

Athanase était assis dans la salle du conseil. La pièce était sombre, seuls les quelques maigres rayons qui parvenaient à traverser les meurtrières qui servaient de fenêtres éclairaient chichement l’endroit. Il était à la base venu ici pour s’isoler et réfléchir sans être dérangé, mais ses pensées avaient dérivé, et il cherchait à mettre le doigt sur un détail qui le chiffonnait. Quelque chose lui paraissait bizarre dans la salle, mais difficile de dire quoi … Il n’avait sous les yeux qu’une table en bois, quelques chaises, un chandelier et des torches accrochées au mur, tous éteints. Les ombres projetées avaient certes des formes étranges et tordues, mais rien de particulièrement inhabituel …

Et pourtant. D’un coup, un déclic se fit dans son esprit, et il réalisa avec effarement ce que son subconscient lui soufflait depuis plusieurs minutes : le problème venait du mur lui-même. Athanase commençait à bien connaître la caserne, et en y réfléchissant il était certain que le mur en face de lui n’était pas dans le prolongement du mur de la salle voisine … Il était plus épais.

Il se leva, curieux de vérifier cette intuition, et fit le tour de la table, s’approchant de la paroi incriminée. Il passa la main dessus. Elle était à première vue tout à fait normale. À première vue seulement … Car lorsqu’il appuya sans trop le faire exprès sur une légère protubérance entre deux pierres, il entendit un léger déclic.

Il s’immobilisa, essayant de réaliser ce que cela signifiait. Y avait-il vraiment un passage secret dans les murs de la caserne de la Cross Guard ?! C’était totalement surréaliste … Pourquoi des soldats d’une organisation telle que la Cross auraient-ils besoin d’un passage secret ? Ces choses associées aux complots et aux trahisons … Impossible.

Mais c’était pourtant le cas. À force d’obstination, il finit par trouver le mécanisme, et le fit jouer. Un court pan de mur s’ouvrit, laissant apparaître quelques marches.

Athanase hésita, mais la curiosité l’emporta ; il alluma une chandelle et, après avoir vérifié qu’il pouvait faire fonctionner le mécanisme des deux côtés de la muraille, il referma le passage et amorça la descente, incapable de s’expliquer pourquoi il faisait cela. Besoin de savoir ? De savoir où menait le passage ? De savoir ce à quoi il pouvait bien servir ? En vérité, il était comme attiré vers ce creux obscur dans les murs du bâtiment, il ne pouvait s’empêcher d’y aller … Pourquoi ?

Les marches étaient très hautes, et il s’enfonça rapidement dans les profondeurs de la caserne. Au bout de quelques mètres cependant leur taille redevint plus raisonnable, et la descente se fit moins périlleuse. Le passage était haut de plafond, et la seule source de lumière était la chandelle dans la main d’Athanase, qui ne voyait donc qu’à peine où il mettait les pieds. L’escalier descendait, monotone, tournant régulièrement, plus bas, toujours plus bas … L’atmosphère était oppressante et le jeune homme commençait à se sentir mal à l’aise. De l’humidité perlait sur les parois, formant ça et là quelques gouttelettes qui glissaient jusqu’au sol. La pierre devenait traître sous ses pas, et il avançait prudemment, s’appuyant de sa main libre sur le mur glacé.

Il lui semblait avancer ainsi depuis une éternité, et il commençait à se demander s’il ne serait pas plus raisonnable de rebrousser chemin, quand une bourrasque de vent inattendue brisa le calme de l’air, éteignant d’un coup sa chandelle. Athanase s’immobilisa. Debout dans l’obscurité, au beau milieu d’un escalier glissant et apparemment sans fin … Il avait toutes les bonnes raisons pour remonter. Mais quelque chose -hasard, destin ou volonté ?- en décida autrement.

Il perçut nettement une apparition soudaine de magie. Elle imprégnait tout l’air autour de lui, pesant sur son âme comme sur ses épaules. Tout à coup, la marche sur laquelle il stationnait se déroba, lui arrachant une exclamation de surprise, puis de douleur quand sa tête heurta la pierre.

Le bruit métallique du chandelier tombant au sol résonna longuement dans l’escalier désert, à peine souligné par un son lointain d’éclaboussures, puis le clapotis de l’eau se refermant sur un corps …

***

Athanase reprit peu à peu conscience. Il avait mal un peu partout, mais était engourdi par un froid glacial. Il remua légèrement, réveillant des pics de douleur, et réalisa alors qu’il reposait en grande partie dans de l’eau. Il ouvrit douloureusement les yeux et se redressa à demi. Il fut prit d’une quinte de toux qui le laissa pantelant, et lui fit prendre conscience de ce qu’il avait échappé de peu à la noyade. Il reprit son souffle tant bien que mal et regarda autour de lui. Il se trouvait dans une immense cavité souterraine, éclairée d’une lueur diffuse dont l’origine restait indécelable, et plus précisément il s’était échoué sur le bord d’une petite île, au beau milieu d’un lac aux eaux limpides mais glacées. Il se releva en grimaçant, encore endolori par sa chute, et s’avança en frissonnant vers le centre de l’île. Son pas était encore hésitant ; il s’était relevé trop rapidement et la tête lui tournait.

En s’approchant du centre de l’îlot, il vit que quelques meubles étaient installés là. Un coffre, non, deux, quelques étagères, un bureau … Quelqu’un ? Quelqu’un était assis sur une chaise devant le bureau, apparemment endormi dessus ! Mais qui pouvait donc venir ici ? Athanase s’avança doucement vers l’inconnu qui lui tournait le dos, et lentement, ne voulant pas le réveiller en sursaut, il lui posa une main sur l’épaule.

À son contact, il pâlit d’un coup. Il retira sa main brusquement, comme s’il s’était brûlé, et recula maladroitement.

Le squelette glissa doucement de sa chaise et tomba au sol avec un craquement sinistre.

Athanase vacilla, et dut s’asseoir pour ne pas tomber. Il était transi de froid, trempé, couvert d’ecchymoses, et maintenant, ça ! Il était épuisé nerveusement, c’était trop pour lui … Recroquevillé à terre, il entourait ses genoux de ses mains, les yeux fermés, essayant vainement de réprimer les tremblements qui le parcouraient. Après quelques longues minutes, il se redressa, un air totalement défait peint sur le visage. Il contourna le squelette et jeta un coup d’œil sur le bureau. Puis il se posa carrément devant et se mit à lire le carnet sur lequel écrivait apparemment le défunt à l’instant de sa mort. Délicatement, en prenant bien soin de ne pas mouiller le fin papier, il tourna les pages pour revenir au début du récit.

Le mort était un ancien membre de la Cross Guard, qui avait combattu pendant le war game six ans plus tôt. Il expliquait comment presque tous ses compagnons étaient morts sous ses yeux, sans qu’il ne puisse rien faire … Comment la victoire avait été rudement arrachée, et à quel prix … Seule une petite dizaine de soldats étaient encore vivants, et un Fou agonisant les avait maudit avant d’expirer. Quelques semaines plus tard, une maladie étrange et sans remède les avait tous frappés. Celui qui écrivait ces lignes était le dernier survivant, et il savait qu’il mourrait bientôt à son tour. Il était donc venu en ce lieu conter l’histoire de la Cross Guard, pour que ses successeurs sachent ce qu’il était advenu d’eux.

La dernière page portait ces quelques lignes, tracées d’une main de plus en plus hésitante :

Je vais mourir, je le sais. Je sens le froid se répandre dans mes veines, je sens la Mort qui me ronge … Je pourrais presque vous dire combien de secondes il me reste. Je souhaite que l’Échiquier disparaisse à jamais, afin que la paix revienne sur Mär Heaven … Adieu, il ne me reste plus longte___

Le texte s’achevait par une longue griffure de la plume sur le papier.

Athanase fut profondément bouleversé par cette agonie qui avait traversé les années jusqu’à lui, cette agonie sans fin pour ainsi dire, puisqu’elle restait à tout jamais gravée dans l’encre …

D’une main tremblante, il allongea le squelette dans une posture plus digne que celle que lui avait donné sa chute, et il murmura d’une voix pâle

« Repose en paix … »

Après quelques instants de recueillement, il se redressa et se dirigea vers les deux coffres. Ils étaient visiblement assez anciens, et avaient beaucoup servi. Leur serrure était couverte de rouille, mais ni l’un ni l’autre n’était fermé à clef. Poussé par la curiosité, Athanase souleva les couvercles … L’un des coffres était empli aux deux tiers environs de pièces de monnaie, de quoi acheter un petit arsenal de guerre ; le fond de l’autre était presque totalement couvert de pierres rouges, ces pierres magiques qui renforcent les ärms.

Il venait visiblement de découvrir le "trésor de guerre" de la Cross Guard …

Il nota mentalement qu’il y avait ici de quoi augmenter le potentiel défensif de ses soldats, le cas échéant, et continua d’explorer cette île où il avait échoué.

S’enfonçant vers le centre de cette terre émergée, il s’aperçu que l’île était en réalité … une presqu’île. Tout au fond de la caverne, un escalier étroit prenait naissance dans la paroi, et semblait remonter vers la surface. Athanase se dirigea vers cet espoir de retour à la normale, d’un pas rendu rapide par l’envie de trouver un lieu un peu moins profondément glacé. Mais tout à coup il se retourna et resta figé, le regard sur la surface sombre et figée du lac.

Il était persuadé d’avoir ressentie une présence dissimulée quelque part dans l’eau ténébreuse. Pourtant, rien ne bougeait, pas un bruit, et même cette sensation diffuse avait à présent disparu. Étrange …Mal à l’aise, il se hâta d’aller gravir l’escalier qui le mènerait, peut-être, vers la délivrance.

Les marches étaient étroites, le plafond assez bas. Très bas même, puisque Athanase avait presque besoin de se baisser pour passer, alors même qu’il n’était pas bien grand … Mais c’était là la seule issue apparente. Il s’engagea donc dans le passage. Très vite, la luminosité diminua et il dut continuer dans le noir le plus total. Il avançait lentement, prenant appui sur le mur et cherchant chaque marche du pied avant d’y monter. Il monta comme cela pendant un temps qui lui parut à la fois très long et bien plus court que celui qui lui avait été nécessaire à la descente.

Son ascension fut stoppée lorsque sa tête cogna contre le plafond. Il s’arrêta et tâtonna au-dessus de lui. Il était apparemment arrivée au bout du passage, et pouvait discerner les contours d’une trappe, qu’il souleva lentement. Elle buta contre quelque chose très rapidement, mais il put tout de même passer la tête pour observer l’endroit où il débarquait. Il eut alors la surprise de reconnaître, une fois que son regard se fut habitué à la lumière diffuse … l’intérieur de la cabane où les armes étaient rangées, sur le terrain d’entraînement. Le passage débouchait sous un râtelier portant de lourdes épées, et il distinguait entre deux boucliers la porte de la réserve. Le jeune homme parvint à se faufiler à travers la trappe entrouverte, et finit par enfin prendre pied en terrain familier.

Il sortit sur le terrain d’entraînement, et fut ébloui par la lumière vive. Il leva un bras pour faire un peu d’ombre à ses yeux, et attendit de s’habituer.

Le soleil réchauffait peu à peu son corps transi, et séchait légèrement ses vêtements et ses cheveux encore trempés. Un énorme bleu s’étalait sur son front, là où il avait heurté la pierre, mais il ne prêtait aucune attention à tout cela, essayant simplement de remettre un peu d’ordre dans ses pensées confuses …