Quand l'Aube point, la vie renaît.

Je restai ainsi un moment, à contempler la lumière … Je sursautai quand une jeune fille me murmura à l’oreille « Bien le bonjour » : je n’avais pas entendu la porte s’ouvrir … Mais qu’importe : je me retournai et me présentai.

« Bonjour à vous aussi, mademoiselle. Je suis ici pour entrer dans la valeureuse organisation intitulée la Cross Guard. J’aimerais donc rencontrer le chef de celle-ci ; serait-ce possible, ou bien est-il submergé de demandes comparables à la mienne, voire supérieures d’importances, faisant qu’il n’ait pas le temps de m’accorder cette entrevue ? »

J’avais tâché d’être convaincante ; de toute façon, même si le chef ne pouvait pas me voir, faute de temps – on n’en a jamais assez, je reviendrai le lendemain. Jusqu’à entrer dans ce groupe de personne réunies pour faire régner la justice …

Je regardais la demoiselle de mes yeux turquoises ; au baquet qu’elle tenait dans sa main, j’en déduisis qu’elle était nettoyeuse … Pourtant, elle ne me semblait pas stupide, et j’eus l’impression qu’elle pourrait devenir soldate si elle le voulait … Ce n’était qu’une impression, quoique ; peut-être m’étais-je trompée du tout au tout concernant cette demoiselle …

Attendant sa réponse, les pensées allaient et venaient. Comme par exemple : à quoi pouvait bien ressembler le chef de la Cross Guard ? La première réponse qui me vint fut :

*Sans doute pas à Nikolaï.*

Mes pensées venaient encore de dériver vers mon monde … Mais c’était bien vrai : j’espérais de tout mon cœur qu’il ne ressemble pas à ce goujat de Nikolaï ! Sinon …

Sinon quoi ? Je n’irai pas à cette organisation ?

Cette pensée me laissa intérieurement songeuse … Que ferais-je si le chef est un homme – ou une femme – qui ne me plaît pas ? Si c’est un méchant lui aussi ? Si …

*Allez, j’arrête de me torturer l’esprit ; de toute façon, j’appartiendrai à la Cross Guard coûte que coûte, quoi qu’il arrive !*

Le jour pointait à peine. La lumière du levant embellissait chaque chose, même les plus banales, et réchauffait les rues. Si tôt … Et déjà Athanase était debout.

Il descendait l’escalier du premier étage quand le hurlement d’He Pao retentit. Il manqua se casser la figure mais se rattrapa in extremis à la rambarde. Il resta là une ou deux secondes, le cœur battant à la chamade. Il n’ y avait pas idée de crier comme cela d’aussi bonne heure ! Dans le silence quasi-total de la caserne endormie … À moins de vouloir réveiller tout le monde en sursaut bien sûr, mais apparemment ce n’était même pas le but.

Il acheva sa descente en sautant les marches quatre à quatre et entra dans le hall en courant presque. Des fois que l’autre ait dans l’idée de recommencer son exploit vocal …

« Mais vous n’êtes pas bien ?! » chuchota-t-il à l’adresse de He Pao. « Vous voulez réveiller tout le quartier ? »

Après avoir jeté un dernier regard suspicieux à la femme de ménage, il se dirigea vers la jeune femme qu’il apercevait à travers le battant resté ouvert (là c’était sûr, tous les voisins avaient profité de l’annonce d’He Pao …). Elle voulait donc postuler à la Cross ?

Il la détailla rapidement du regard. Des cheveux blancs mi-longs, de grands yeux bleus, une tenue excentrique et un visage avenant.

« Bonjour mademoiselle, je suis le chef de la Cross Guard. Vous souhaitiez me parler ? » dit-il d’une voix pas trop forte, n’ayant aucunement l’intention d’en rajouter après l’intervention … fracassante de la femme de ménage.

"A vot'service !", murmura He Pao à la damoiselle, avec un sourire malicieux.

Elle avait encore une certaine quantité de ménage à faire, et si c'était un plaisir que de réveiller cette bande de bons à rien de la caserne grâce à l'occasion que venait de lui donner Lucia, celà ne saurait la retarder longtemps.
Elle s'éclipsa donc de façon étonamment rapide, laissant Athanase et Lucia relativement seuls (au milieu d'une ville partiellement réveillée...)

La demoiselle dit avec un léger sourire qu’elle allait voir ce qu’elle pouvait faire … Ce sourire me fit penser – ne me demandez pas pourquoi – qu’elle allait bientôt faire une action pas très … hum, sympathique ? Enfin, pour m’exprimer clairement – et familièrement, veuillez m’en excuser, j’avais le sentiment qu’elle s’apprêtait à faire une connerie …

Celle-ci ne tarda pas. Elle hurla qu’il y avait une nouvelle – moi, sans doute – qui voulait rencontrer le chef … Je plaquai mes mains sur mes oreilles ; elle avait certainement réveillé toute la caserne comme cela ! De plus, la porte était ouverte, donc peut-être quelques voisins dans le lot ! … Je m’avançais vers elle pour lui dire que ce n’était guère bien de réveiller les gens à cette heure-ci du matin, mais je n’avais pas fait un pas en direction de la porte que quelqu’un arriva …

Il chuchota quelques mots à la femme de ménage que je ne compris pas, mais dont j’entendais le ton de reproche, puis s’avança vers moi.

Le chef de la Cross Guard.

Je pris quelques instants pour le détailler, avant de lui répondre. Des cheveux gris et courts, enserrés dans un bandana ; bandana qui flottait légèrement dans la brise … Ses yeux gris semblaient empreints d’une douleur sourde, comme s’il avait dû traverser bien des épreuves pour en arriver là …

Je pouvais entendre distinctement les battements de mon cœur ; chaque battement était comme un coup donné dans un gigantesque tambour … dont je ressentais l’impact à travers chaque fibre de mon corps.

Je m’aperçus que je tremblais légèrement ; j’expirais silencieusement pour calmer cette excitation. Je ne devais laisser paraître des sentiments aussi bruts devant mon futur chef …

Enfin, je décidai de me présenter ; il n’est guère poli de ne rien répondre quand l’on vous pose une question, et l’attente n’avait que trop duré déjà …

Mais avant, je m’agenouillai devant ce jeune homme, espérant de tous mon cœur qu’il daignerait m’accepter dans son organisation … Si j’avais eu un dieu, j’aurais prié, mais, ironie du sort, le seul dieu que j’ai connu, je l’ai annihilé de la surface de la planète … enfin j’espère.

« Monsieur, j’aimerais combattre le Mal à vos côtés, aux côtés de la plus magnifique organisation qui soit, la Cross Guard. Daignerez-vous m’accepter comme recrue dans celle-ci ? Ne vous en faites pas, cela ne m’étonnerais pas que vous n’acceptiez pas une jeune fille comme moi, mais j’espère avoir une chance … », dis-je d’une voix dont je m’efforçais de chasser tout tremblement.

Je restai agenouillée, les yeux fermés, essayant d’avoir l’air digne ; c’est à peine si j’entendis la femme de ménage partir …

À partir de maintenant, tout se jouait à pile ou face … Soit je gagnais et j’entrais à l’organisation, soit je perdais et …

Que ferais-je si je n’était pas acceptée ?

Malgré moi, j’avais peur ; peur de faire mauvaise impression à ce chef qui me semblait juste ; peur des journées de solitude qui arriveraient si je n’étais pas acceptée, peur … des jours sans mes amis. Sans Alph. Sans personne.

J’ai toujours eu peur de la solitude.

[Gomene, pour la description d‘Athanase je suis un peu partie en vrille … ^o^°°°°°°°]

La jeune fille face à lui resta muette quelques secondes, dévisageant Athanase. Souhaitait-elle entrer à la Cross ? Ce serait alors logique qu’elle s’attarde sur l’apparence de son futur chef, cherchant sans doute à se forger de lui une première opinion. Le jeune homme se contraignit à rester impassible, alors même que cette attention soutenue portée sur lui le mettait mal à l’aise.

Mais le pire était à venir … La jeune fille se mit carrément à genoux devant lui pour lui demander de l’accepter comme soldate ! Totalement pris au dépourvu, complètement déstabilisé, Athanase eut beaucoup de mal à conserver son masque d’assurance habituel. Mais de toutes manières elle avait fermé les yeux, craignant peut-être la réponse à venir, donc cela n’avait pas d’importance … Il resta muet quelques instants, saisi et incapable de réagir.

« Relevez-vous voyons ! Vous n’avez pas besoin de vous abaisser pour que je vous écoute ! » fit-il enfin.

Il ne savait trop quoi lui dire. Il ne voulait pas accepter les gens sans réfléchir, mais il faut admettre que la plupart du temps la situation lui forçait la main, et qu’il prenait des décisions à la va-vite là où il aurait dû prendre son temps. En l’occurrence, entrer à la Cross semblait être le but ultime de la jeune fille, et il était logique qu’elle tente de précipiter les choses.

Enfin, il allait une fois de plus écouter son instinct …

« Tous ceux qui ont les capacités et la volonté pour combattre l’Échiquier peuvent entrer à la Cross Guard. Que vous soyez une jeune fille n’y changera rien. Mais … »

Il hésita. C’était peut-être ridicule de sa part de s’attarder sur un détail, cependant il préférait le faire maintenant que de s’en mordre les doigts plus tard.

« Vous dites vouloir "combattre le Mal". Ce n’est pas notre but. »

Ses yeux se voilèrent légèrement comme il poursuivait d’une voix plus sourde.

« Nous ne pouvons combattre le "Mal". C’est une notion tellement floue. Tout ce que nous pouvons faire, c’est décider de protéger. »

Il s’aperçut qu’il ne la regardait plus vraiment, ramena son regard sur la jeune fille, gêné sans le laisser paraître, et acheva d’un ton plus neutre.

« La Cross Guard a pour but de protéger la population des agissements de l’Échiquier. Si une autre organisation similaire commet les mêmes atrocités nous la combattrons de même, mais nous ne pouvons pas nous donner d’autre but. Même si, en fin de compte, nous serons sans doute amenés à tenter une fois de plus de détruire l’Échiquier … Voulez-vous toujours être des nôtres ? »

Je restais silencieuse tout en l’écoutant. Il … dit qu’il ne voulait pas combattre le Mal, mais protéger. Je faillis défaillir devant cette réponse, ou plutôt ma question.

Je m’étais extrêmement mal exprimé. Pourquoi faut-il toujours que je fasse les plus grosses bourdes possibles et imaginables ?

Je rouvris les yeux et me relevais en tâchant de conserver une certaine dignité, bien que j’étais certaine de l’avoir perdue …

« Je … euh …»

… marquai une pause quelques instants pour trouver les mots les mieux adaptés à la situation, et fus déçue de ne pas pouvoir en trouver …

« … suis totalement d’accord avec ce que vous dites. » me parut la meilleure solution.

Je continuai donc :

« Je me suis certainement mal exprimée, je, euh, je … »

Je … je … quoi, je ? Déjà que la dignité était perdue, alors si je me mettais à bafouiller des propos incompréhensibles, là, ça devenait carrément intenable … Je faillis prendre la fuite, mais si je le faisais, il n’y aurait pas d’espoir de revenir …

Je m’efforçai donc de cacher ma honte et ma rougeur – qui ne tarderait sans doute pas à arriver, repris ma respiration calmement puis repris :

« Bien sûr que je voudrais protéger les innocents. Même ceux qui ne le sont pas. Mais si l’Echiquier continue à massacrer des gens, presque sous mes yeux, que ferais-je ? Je les attaquerai. Sauf, évidemment, si vous me dites ne pas le faire … »

Je respirai plus librement maintenant. J’avais dit ce que j’avais à dire.

Je retournai ses derniers mots dans tous les sens, jusqu’à ce qu’une vérité apparaisse clairement dans mon esprit : on nageait en plein quiproquo. Enfin j’avais l’impression. À moins que le petit quiproquo se cache dans un plus grand … Mais n’était-ce pas la même chose ?

Je rajoutai :

« Je suis donc totalement d’accord avec vous, si j’ai bien compris … »

Je rebaissai la tête. Si cela avait été une pièce de théâtre, le public aurait ri …

Mais je commençais à avoir l’habitude de perdre la face ; cette discussion me rendait à chaque phrase plus honteuse …

J’espérais simplement que le chef comprendrait …

« Je suis désolé … »

Le jeune homme avait bien remarqué la gêne de Lucia, mais ne pouvait lui en vouloir, ni la trouver ridicule ou pitoyable ou dieu seul sait quoi. Il s’était si souvent trouvé dans une situation similaire … Et aujourd’hui encore, il était presque aussi confus que son interlocutrice.

« C’est de ma faute … » fit-il de la voix sourde de celui qui regrette profondément ses erreurs passées.

Il tenta de se secouer. Ce n’était pas le moment de perdre pied. Il était le chef de la Cross, il en acceptait les responsabilités, il ne devait pas faillir à sa tache. Et garder une aura de puissance et de commandement faisait parti de ce rôle haït. Il ne pouvait se permettre de paraître hésitant. Il ne pouvait se permettre de se laisser déstabiliser.

« J’avais mal interprété vos paroles, veuillez m’en excuser. »

Sa voix se faisait aussi neutre que toute son attitude, et même son regard se fermait. Son corps n’était plus qu’un objet totalement soumis à sa volonté. Rien ne provenant d’une émotion indésirable, voire de son inconscient, ne pouvait l’atteindre et influer sur lui. Rien ne transparaissait de ses pensées ou de ses sentiments.

« À présent je pense avoir compris. Et nous sommes en effet d’accord. Nous souhaitons avant tout protéger la population. Mais nous sommes tous deux prêts à nous battre contre quiconque la massacrera comme l’a déjà fait l’Échiquier par le passé. »

Il marqua une pause, se laissant un temps de réflexion. Très court.

« Bienvenue à la Cross Guard. »

Encore une décision prise à la va vite. Un jour ou l’autre, il le regretterait, c’était certain. Non pas nécessairement celle-ci en particulier. Mais l’une d’entre elles lui retomberait dessus plus tard, c’était forcé. On ne pouvait qu’espérer que le problème ne resterait pas insurmontable. On ne pouvait qu’espérer qu’il n’éclaterait pas au pire moment possible.

Marcher sur le fil d’un rasoir …

Athanase fit signe à la jeune fille d’entrer. C’est alors seulement qu’il remarqua qu’il ne connaissait pas son nom, pas plus qu’elle le sien d’ailleurs … Il referma doucement la porte derrière eux, et dans le silence du hall se tourna à nouveau face à Lucia pour ajouter, avec une tentative de sourire, comme pour adoucir le ton sec qu’il avait pris quelques instants plus tôt

« Excusez-moi, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Athanase Eärfalas. Et vous ? »

[edit Joker : où ça des alinéas ? OO]

Quoi ? J’avais aussi oublié de me présenter ? Décidément, ce devait être ma journée …

« Non, c’est à moi de m’excuser. Je m’appelle Lucia, et je suis honorée de pouvoir maintenir la paix de Mär Heaven à vos côtés. »

Une douce chaleur envahissait à présent mon cœur ; tous ces innocents, même les gens qui ne le sont pas … ensemble, nous pourrons les sauver ! La Cross Guard … Avec des gens aussi motivés que moi, … je ne trouvais pas de mots à mettre sur mes sentiments … En tout cas, c’était tout ce qui m’importait.

… Non. Ce n’était pas tout ce qui m’importait. Pourquoi pense-t-on toujours à quelque chose de triste quand on devrait être joyeux ? Comment ne pas penser à ma dimension natale que j’avais oubliée pendant quelques courts instants ? …

Mais pourquoi je pensais à ça à ce moment, moi ? Oublier. Du moins temporairement. Profiter du bonheur qui aurait dû être mien …

Masquant totalement ma gêne, je souris. Comme ça. J’en avais juste envie … Mon chef aussi souriait. Il avait l’air très gentil, même quand il ne souriait pas. J’avais hâte de la connaître, lui comme les autres membres de la Cross Guard.

Et le Soleil qui se levait, avec probablement les habitants de la Cross Guard réveillés par la demoiselle de tout à l’heure …

J’étais acceptée à la Cross Guard !

[Gomene du post court >o<]

[bon, je pense qu'on peut s'arrêter là ... topic clos ^^]