Les trois coups ! =p

Les innombrables cohortes de la Cross Guard contenaient bien plus d'un manieur de balai émérite, tant bien que nombre de ses valeureux combattants s'exerçaient souvent à ce noble art plus fréquemment qu'à l'épée ou la plommée. Certains esprits licencieux prétendaient certes que l'échelle hiérarchique était en cet ordre proportionnel à la maîtrise de l'instrument, mais peu d'esprits acérés s'y méprenaient. Dans les faits, il s'agissait avant tout d'une excellente couverture tout terrain, pour presque n'importe quelle opération de renseignement où la capacité à faire partie du paysage assurait d'avantage la vie sauve qu'une savante planification des évènements : on trouvait des balayeurs partout, et on ne s’en méfiait donc pas. Le revers de la médaille étant que dans cette masse uniforme de techniciens de surface homologués, l’usurpateur était discret comme un ananas dans une tarte aux fraises. De ceci on pouvait saisir l’entêtement mis à faire voltiger le ballot de chanvre avec une perfection de majorette aguerrie, tout en gardant la vision périphérique d’un poulpe pointillé et la capacité d’improvisation sordide d’un responsable des augmentations.

Cela ne faisait toutefois pas des gardes croisés une troupe ménagère d’élite, l’imitation de compétence de la plupart se bornant bien souvent à confier habilement des pluches pluricentenaires à la garde des entrailles de la vénérable carpette domestique. Quelques époussetiers véritables sachant pertinemment la répartition ethnique des différentes variétés de balayures hyperallergéniques à adopter afin d’épargner au mieux les conflits de territoire du dessous de tapis auraient tôt fait de démasquer la supercherie. Néanmoins nul ne s’était encore fait prendre en flagrant délit de faute professionnelle, et les espions du camp des gentils pouvaient donc survivre, et rester dans la catégorie tout public, où ils sont assurés de gagner à la fin. Tactique, n’est-ce pas ?

« Prête à être formée tu te crois ? »

La réplique avait jailli sans se faire annoncer, à tel point que Steve douta quelques instants en être bien l’auteur. Il vérifierait les bibliothèques vocales « culturelles » installées sur le flanc droit de son ärm un beau jour... Nul doute qu’il y percerait une bonne quantité de mystères qui ne l’avaient pas taraudé jusqu’ici.

« Fort bien. Par quoi commencer ? Je n’ai rien contre le bâton, qui doit très efficacement morigéner un garnement et son lance-pierres, mais comment dire ? Je doute sérieusement qu’un pion de l’Échiquier hésite plus de deux battements de sourcils à vous réduire en petits copeaux fumants depuis sa chaise longue lorsque vous entreprendrez de lui administrer vaillament une correction déculottée... »

L’inquiétude le disputait au stoïcisme railleur dans les méandres fougueux d’un cours de pensées prenant sa source au faîte neuronal du Geek Fou. Convenait-il des gentiment intervenir ou d’attendre en allant chercher une éponge, pour coaguler le sang frais qui n’allait pas tarder à jaillir ? A voir Natsumi épauler approximativement cette espèce de machette à deux mains deux tranchants, la recrue lui rappelait quelque histoire de riche homme ayant fait l’acquisition d’un rasoir d’acier valyrien. Pour ce qu’il s’en souvenait, la légende urbaine se concluait par le raccourcissement matinal du zouave en question. Si cette épée bâtarde, passée de frais à la meule puis à la sableuse la veille, daignait s’affaisser de flanc sur l’épaule gracile de la jeune fille, une chance sur deux pour qu’elle l’ampute de deux vertèbres encombrantes. Il y avait la matière à étudier le rôle profond du sadisme dans la loi de chute des corps, et ou s’arrêtait l’humour noir de la chute libre : si la tartine tombait toujours du côté confiture, ce coupe-chou hasarderait-il quelque remord à tomber côté cou ?

Manifestement.

Steve n’intégrait pas bien cette déplorable constante des outils avides de sang frais par leur nature profonde à épargner miraculeusement les douces jeunes filles. Elle était graissée à l’huile de surin, cette lame là, pas à l’eau de rose. Soit dit en passant, cette théorie chevaleresque des armes blanches expliquerait logiquement pourquoi tant de hauts faits sont attribués à divers bellâtres en armure peu après que leur Cunégonde adorée eût noué son mouchoir tuméfié à leur épieu. Ceci associé à une prédilection probable de ces mêmes armes de nobliau à occire d’autant plus facilement un gros monstre maléfique quand il est de surcroît très moche. Des spéculations à approfondir.

Toujours est-il qu’un pion n’est ni particulièrement hideux, ni nécessairement autre chose qu'une douce jeune fille, mais que de surcroît il avait la mauvaise grâce de ne généralement pas se laisser massacrer comme tout bon méchant de l’histoire.

« Si c’est mieux ? Bin voyons, avec ce morceau de fer blanc, non seulement on va te voir venir de loin, mais on va t’entendre arriver d’encore plus loin. »

Il semblerait qu’une sommaire leçon de théorie s’imposât.

« La différence fondamentale entre ce que tu appelles un coupe-jarret, que moi j'appelle un planton sur un tronc d’arbre avec un gourdin vermoulu et les poches trouées, et un adversaire potentiellement mortel, c’est que pour mettre en fuite le premier, il te suffit de planquer un bâton plus gros que le sien pour qu’il se méfie pas trop, et de le défourailler au bon moment afin de lui retailler le pif proprement. Mais ça c’est parce que c’est lui qui s’approche, alors que si tu es l’assaillant, on te soupçonneras de suite, main sous la cape ou pas. Il convient donc de garder à l’esprit que quoi que tu fasses, ta cible est susceptible de te trucider à tout moment, et donc en premier lieu adopter un outil de travail un rien plus polyvalent que ce tranchant à bœuf. »

*Selon la loi de Murphy, après telle tirade doit logiquement et dans mon dos survenir l’orc avec sa massue de trente kilos entre les mains.*

Mais le monstre vert ne jugeant pas utile de faire son apparition, probablement en opération éclair sur le garde manger à cette heure-ci. Puisse la bigote au coquelicot sur la cornette –ou n’importe quel autre vaillant défenseur des royaumes humains– soutenir le siège jusqu’à l’heure du repas.

« Car voyez, le credo de défendre la veuve et l’orphelin c’est très beau, mais il vaut mieux pour des raisons éthiques éviter de guerroyer à domicile, la veuve aux fourneaux et les orphelins à l’étage. On prend donc les devants afin de mener des attaques préventives et neutraliser l’agresseur en puissance, pour simplifier le schéma. De plus, nombre d’ärms parmi les plus cruels se dissimulent dans une breloque qu’on met au doigt, donc quand on les affronte avec du matériel plus conventionnel, il faut se soumettre à quelques principes de survie en milieu hostile. En premier lieu éviter l’outillage de brutasse, et donc opter à l’idéal pour un engin qui tue quasiment son homme en restant au fourreau »

Steve lui remit une rapière de spadassin, plus fine, plus souple, et rangée dans une gaine de cuir sur laquelle il avait bricolé un module autolubrifiant et un col silencieux. La poignée était soigneusement emmaillotée de lainage mince pour passer d’une main à l’autre sans émettre un son, et l’acier lui même traité au suif pendant la fonte pour en supprimer les reflets lunaires. Garde et pommeau de chêne à cœur plombé, ils arrêtaient une lame doublement plus épaisse sans lui permettre de se dégager de suite. Puis il se dirigea vers une malle tapissée de fourrure d’ours à l’extrémité des râteliers, portant un écriteau de biais « matériel expérimental en cours d’homologation, usez à vos risques et périls », ey y farfouilla longuement pour en extirper une tube longiligne d’une coudée, probablement en zinc, tandis que Natsumi examinait plus longuement l’arme qu’il lui avait remise.

« Ce bijou m’a été inspiré par l’ärm de notre chef, en l’observant s’entraîner à mes heures perdues. On dirait le tuyau qui manque au réseau de plomberie à l’étage, et c’en est justement tout l’intérêt. Observez donc. »

Trois coups brefs sur l’extrémité du cylindre, une rotation circulaire entre deux doigts, et une pointe fuselée jaillissait de l’autre bout du bidule, maintenant grand de quatre fois sa longueur originale. Une nouvelle rotation de l’anneau cuivré à mi-hauteur de la lance, et un déclic de sécurité se fit audible.

« Ceci tient dans la manche, ou tout simplement dans un seau à côté d’un tas de boulons et d’une clé de douze, se déploie en moins de deux secondes huit par la seule force centrifuge, et se reploie à tout instant par nouvelle action sur l’anneau, entraînant un système à ressort remarquablement peu bruyant. C’est aussi solide qu’une pique sans en présenter l’encombrement. En garde »

Malgré la vitesse avec laquelle son plagiat se déployait, l’épée de Natsumi avait encore l’avantage de la maniabilité. À elle l’honneur du premier estoc, à lui de faire valoir l’allonge contre la taille.

Natsumi considéra un instant la rapière d'un air dubitatif. Ce truc était bien trop léger, c'était le genre d'arme qui vous sautait des mains et allait se planter dans le nez dès que vous la souleviez un peu vite... De plus, le métal fin inspirait bien moins la solidité et elle soupçonnait qu'on puisse fracasser l'objet très aisément en un coup au centre bien placé...

*Si c'est là un défi, il ne manque pas de sel, car pour tuer ceci semble moins sûr que la vaisselle...*

Un cliquetis métallique la tira de ses rêveries. Relevant la tête, elle observa la sorte de lance que son interlocuteur tenait en main et manqua pouffer. Mais quel était donc cet arsenal de carnaval ? La pique est un exemple d'objet dont l'inventeur s'était couvert de ridicule : que l'opposant soit muni d'une arme légère ou lourde, la parer était facile tant son mouvement était prévisible. C'était un ustensile de corps de garde, conçu pour un seul et unique but : bloquer le passage. Une cohorte de lancier jouait en effet merveilleusement ce rôle.
Oui, mais là, le geek était tout seul...

Natsumi admit qu'avec un tel équipement entre les mains des deux protagonistes, les chances s'équilibraient un peu.

La question se posa donc : comment agresser un être possédant un... ustensile... de dimensions aussi conséquentes ? Elle ne pouvait se livrer à un assaut ou une parade directe avec cette chose fine, elle se briserait de façon certaine. Il fallait donc jouer sur sa mobilité accrue, et fatiguer l'énergumène afin de pouvoir l'assaillir dans le dos à un moment où l'épuisement l'amènerait à le découvrir...

Elle commença donc à décrire, lentement, un cercle autour de Jollmer, en guettant ses réactions, prête à bondir sur le côté ou en arrière dans le cas où il lancerait une attaque...

C'était certes une technique manquant cruellement d'originalité, mais il fallait bien admettre que les choix à sa disposition étaient assez limités.

Dans ses cheveux, le ruban s'agitait légèrement plus fort qu'il n'aurait dû vu les mouvements lents qu'elle faisait et le vent dépassant à peine la brise légère. Une extrêmité était toujours à portée de main, tentante, et le noeud fait de sorte qu'il suffise de tirer dessus pour le défaire.
Mais Natsumi ne tenait pas à utiliser cette chose maintenant. Premièrement parce qu'elle trouvait que c'était déloyal, deuxièmement parce que c'était toujours bon de se garder un atout en réserve, troisièmement parce que manipuler ce truc lui rappelait de mauvais souvenirs, et quatrièmement parce qu'elle avait besoin d'un maximum d'énergie pour se livrer à un tel duel d'usure et savait pertinemment à quel point faire appel aux vents était épuisant...

Telle timidité dans des tentatives d’intimidation faisait peine à voir. Elle avait beau courir, ruer, se fendre, bondir d’un bord ou de l’autre et mouliner de sa lame, elle restait désespérément en retrait. Pas une de ses manœuvres de harcèlement ne l’avait amenée à moins de deux mètres de son belligérant d’adversaire. Comment espérer dès lors qu’on se fatigue à lui courir après ? Le Geek, quoique Fou, restait posément sur place et pivotait mollement pour toujours présenter une seule face à son satellite, qui orbitait en sautillant énergiquement autour du barycentre de ses godasses. L’affrontement s’éternisait alors qu’il comptait tout juste une poignée d’échanges acier contre acier, ce qui n’était absolument pas au goût de Steve Jollmer. Un duel se devait être concis et expéditif, et comporter le moins possible de phases latentes vouées au jaugeage réciproque des combattants. Cela avait la mauvaise grâce de se prêter à l’élaboration de fourberies tactiques ôtant à l’affrontement autant de réalisme que d’intérêt.

*Qu’elle commence donc par cesser de me contourner comme un moustique attendant son heure, et qu’elle montre enfin ce que vaut sa parade.*

Sans autre avertissement qu’un « Han ! » mécaniquement expiré, le Geek Fou quitta la pose pour frapper d’extension le pectoral de Natsumi, qui bondit à nouveau et en arrière, sous le coup de la surprise ou d’un réflexe aguerri : à voir... Au lieu de reprendre sa garde, Steve se lança violemment sur l’autre pied, et tendit derechef son tube en zinc, dont la pique fusa cette fois vers l’épaulière droite. La jeune fille se décida enfin à parer, ramenant sa rapière à hauteur de menton le temps d’un bref froissement. Steve acheva le mouvement par une déviation de sa pointe vers la ceinture, pour forcer sa recrue à dégager son arme. Par une succession d’assauts aussi sauvage qu’impitoyable, Steve entreprenait de forcer Natsumi au recul dans l’angle du terrain. Encore quelques toises et un bon estoc acculerait l’infortunée dos au puits, toutefois semblait-il.

*Elle va bien riposter avant de boire la tasse, quand même ?*

Diantre !
Voilà maintenant que le geek, tel un éléphant décérébré, passait à l'attaque furieusement et sans répit !

A vrai dire, la comparaison semblait pertinente sur plus d'un point puisque la musculature du geek semblait nettement plus développée que Natsumi l'aurait cru. A vrai dire nettement plus développée que celle de n'importe quel être humain normal, puisqu'il était théoriquement impossible d'agiter un morceau de plomberie détournée de ces dimensions de pareille façon : vu l'inertie que sa masse lui donnait, s'il était possible sans soucis avec un minimum d'entraînement et de musculature de le mouvoir à une telle vitesse, l'agiter de façon aussi dextre impliquerait d'alterner des poussées d'une force incroyable et d'une durée de moins de quelques secondes chaque, en prévoyant chaque frappe plusieurs secondes à l'avance, ce qu'on ne pouvait dans la présente situation manifestement pas faire... A moins bien sûr que l'épaisseur de l'ensemble ne soit tellement faible qu'il plierait au premier choc violent.

Mais Natsumi était légèrement au-delà de ces considérations, occupée qu'elle était à parer en observant avec inquiétude les multiples flexions de la lame de son arme.

Elle dût bien reconnaître que celle-ci était plus solide qu'elle ne l'aurait cru pour l'instant. Ou que le geek cherchait plus à agiter son arme vivement qu'avec une réelle force, afin de faire de l'esbrouffe ? Hmmm... Hypothèse également envisageable.
Natsumi, avec le profond sentiment de commettre une très grave erreur, décida de tester la résistance du matériau afin d'être fixée sur ce point. Elle attendit que le geek frappe encore une fois en direction de son entrejambe (mode de frappe que pour une raison obscure il semblait apprécier particulièrement, à moins qu'elle ne se fît des idées sur la dignité de son adversaire), plaça sa rapière sous la lance, et fit levier en s'écartant sur le côté pour l'éviter.

Bonne nouvelle pour elle, malgré un son absolument atroce né du frottement de l'acier contre le zinc, aucun accident fâcheux ne se produisit.
Elle soupira intérieurement.
Ensuite, tout en essayant de maintenir la lance de maître zingueur du geek bloquée au niveau de la garde de son épée, elle évalua la distance entre elle et le geek.
Définitivement trop grande pour ce qu'elle envisageait présentement. C'est alors que l'animal, lassé de jouer à ce petit jeu, releva simplement sa lance, ce qui eût pour effet de projeter légèrement Natsumi en arrière.

Elle se retrouva alors face à la créature qui tenait désormais sa lance vers le haut, la regardant d'un regard inexpressif de machinerie de ses yeux globuleux.

*Mais qu'est-ce que c'est que ce type ?*

Alors que le geek ajustait minutieusement sa prochaine frappe, tout ce que voyait Natsumi était les mouvements du mécanisme asservi (mais certainement pas à son propriétaire) de mise au point du casque. Il lui fallut un certain temps pour appréhender ce qui se passait, et elle eût juste le temps de faire un pas de côté.

Moyennant quoi elle n'avait strictement rien gagné, si ce n'était qu'elle avait désormais derrière elle non plus un puits mais un mur.

*Je savais bien que j'aurais dû me garder une VRAIE arme...* grommela-t'elle intérieurement.

Ce n'était en effet pas un artifice de tuyauterie qui aurait pu arrêter un estramaçon, un espadon, ou leur pendant bâtard plus léger. Le zinc étant un matériau relativement mou, et étant donné la construction d'apparence aproximative de la lance télescopique, quelques bons coups bien plaçés à une articulation auraient fait son affaire à l'arme du geek...

Oui, mais présentement elle avait affaire à un objet n'ayant ni l'avantage du poids, ni celui de la taille.

Une petite voix encourageante dans sa tête lui murmura que les rapières étaient des armes de duel, conçues exclusivement pour combattre entre elles. Natsumi lui recommanda aimablement de se taire.
Il DEVAIT exister un moyen.

[Veuille pardonner cet inexcusable retard, semaine dernière très lourde dans tous les sens du terme.]

Tempes dégouttantes de sueur un peu, et de frustration plus qu’un peu, l’illustre personnage porta un ultime estoc, propulsé par d’avantage d’instinct bovin que de conviction. Sa proie venait bel et bien de lui déguerpir d’entre les doigts une fois de plus, et ses assauts précédents n’étaient plus que tant d’efforts vains pour jamais qu’une seule expérience caduque. Steve avait amorcé son coup bien trop tard, et c’est à peine si son adversaire prit le temps de parer avant de remettre quelques longueurs de sécurité entre lame et pique. Dans une perspective purement didactique, revenaient à l’esprit du Geek Fou des bribes de quelque formule déontologique fustigeant la couardise. C’était une des spécialités de l’enseignement traditionnel les plus stéréotypées : le prof, dégainant à l’élève avec un air de chevalier jedi rabougri quelque maxime moraliste obscure lui signifiant, au degré de jargonisation fumeuse près, qu’il avait de toute façon encore beaucoup à apprendre.

Tel était le privilège du maître : simuler la sagesse trois secondes et susciter dans l’instant l’admiration éperdue du disciple. Natsumi ne l’admirait pas éperdument, à vrai dire elle semblait même le haïr profondément, lui et le clou rouillé qu’il lui avait servi en guise d’épée. Et que devrait alors dire Steve, nul autre que l’incarnation humanoïde du côté obscur de la science, s’il suffisait d’un bond, d’une quelconque et énième dérobade, pour se soustraire aux fers acérés de son irréductible volonté ? Pourquoi donc s’embarrasser de fentes et de bottes, qu’elle gâchait avec l’aisance adoptée pour décliner un peu plus de lait dans son thé au citron ? Même un Geek Fou ne pouvait se résoudre à nommer techniques de combat de telles pantalonnades, elle lui asticotait les extrémités et détalait comme un lièvre à la courre.

*Crève les yeux, pourtant, que la rapière ne lui inspire aucune confiance, et aucun courage non plus, voire. Elle en attend quoi ? Un pied de plus à l’allonge ? Morbleu et trois bascules JK « flip-flop » ! Si elle en est encore à compter les pouces sur son fer après vingt-huit assauts et douze dégagements, c’est que j’aurais dû lui refourguer un coutelas à jambon, pour le même tarif. Bleusaille, va.*

Le poinçon zingué partit fugitivement sur l’abdomen de la « disciple », mais Steve n’y trouva que la rudesse exagérément consistante du mur derrière elle. À peine remis sur pied, et encore à demi sous le choc du contrecoup, il essuya vaillamment une remise opportuniste de Natsumi. Elle abattait son épée en teinte de fumée avec un geste de bûcheron, et c’en fut de peu que la pointe ne passe complètement au large de Steve. Regard courroucé à la fautive et chétive épée, qui refusait avec plus d’opiniâtreté qu’un banquier suisse à se changer en espadon d’un mètre cinquante le temps de fendre en deux sa victime. Le preux Geek Fou dévia le coup d’un revers de hampe et recula fébrilement. Une hargne féroce semblait éclairer par instants la face de Natsumi. L’autre possibilité était une défaillance chromatique de son visualiseur, lequel n’était pas à sa première gaudriole esthétique. Une dernière hypothèse ménageant la psychopathie complète de l’accusée était une mauvaise acceptation de la stratégie offensive visant son intimité de prude jeune fille. Une manière parfaitement innocente de stimuler la combativité d’un antagoniste à la riposte peu diligente, entendons nous bien.

*Dire que je l’avais prise pour une farouche manieuse d’épée à deux mains : rien à faire, c’est un ours avec une étoile du matin. Attendre une ouverture. Chargeeeeer ! C’est pas faux que ce serait plus simple, si un combat se résolvait en deux étapes fixes.*

[Veuille de mon côté excuser ce post perfectible (à mon sens). La seule raison que je peux avancer de mon côté, c'est le manque de sommeil...]

Natsumi commençait à trouver ce duel de charges et évitements assez lassant et fatiguant. Elle voyait toujours mal comment frapper un adversaire qui avait un bon mètre d'allonge de plus qu'elle sans se faire embrocher (quoique virtuellement, puisqu'il s'agissait ici d'un duel amical (à priori)).

C'est alors que son esprit à la dérive désespérant de trouver une faille dans la défense de Jollmer remarqua un léger bringuebalement dans le maniement de lance de celui-ci. Pourquoi ? Dans un sursaut d'espoir, elle crut bien voir une jointure mal ajustée vers le milieu de la lance.
Elle n'était pas bien sûre, elle avait d'autres occupations présentement que de contempler avec un regard obsédé la longue lance du geek, mais c'est tout ce à quoi elle pouvait se raccrocher présentement donc elle s'y accrocha de toutes ses forces.

Et au coup suivant du geek, elle tenta d'abattre sa rapière de toutes ses forces sur le point faible supposé, en espérant qu'il existe réellement et ne soit pas le fruit de son imagination [Ca, je te laisse en juger...] , et, une fois de plus, que l'arme tienne le choc.

Car il était peu probable que l'armurier ayant conçu celle-ci, sans doute fait jusqu'au bout des ongles aux us et coutumes du duel vu le soin qu'il avait apporté à la garde notamment, ait prévu un maniement de son oeuvre peu classique à mi-chemin entre celui de l'espadon et celui de l'épée bâtarde...

[Si tu juges un post faible, je ne t'en voudrai pas de le peaufiner à loisir avant de le poster, dût-celà en retarder la parution]

Non, mauvaise idée. La graisse mammifère sur des articulations télescopiques produisait un effet détestable. Sous les élancements successifs des formidables estocs assenés par Steve Jollmer, le lubrifiant jaillissait de ses gaines et venait huiler les joints d'étanchéité du mécanisme. Faire une lance waterproof était une gageure, néanmoins ces mêmes liaisons hermétiques avaient également rôle d'adhérence, et les arroser de lipides ne leur facilitait pas la tâche. Les différentes parties de la lance entamaient d'intempestives rotations sur elles-mêmes dès que Steve revenait en garde sous la tempête de ripostes faiblardes de Natsumi. Le Geek Fou savait pertinemment que s’il faisait mine d’omettre d’en parer une seule, il aurait droit à un revers de rhinocéros, et jugeait donc moins éreintant de contrer, contrer, contrer... avec une laborieuse monotonie. Et voilà que ces fichus joints en peau de phoque se mettaient à roucouler comme des pigeons enroués. Ajouté au tintamarre des assauts, les piaillements de volaille en rut avaient de quoi taper sur les nerfs, sans compter que Natsumi finirait certainement par se rendre compte que la lance gigotait en tous sens, et qu’elle terminerait irrémédiablement par se coincer une jointure avec un angle folklorique à un moment ou un autre.

Mais elle n’avait semble-t-il pas poussé le raisonnement jusque-là. Pas d’avantage que Steve n’avait considéré la possibilité d’un assaut frontal pour forcer la casse. L’acier fusa d’un revers de manche, comme on torche rageusement des postillons importuns, puis la lame décrit une courbe excessivement aérienne, au point de chute trop prévisible. Elle frappa d’estramaçon, trop vite et trop bourrin pour oser un esquisse de parade : dans un feulement de bête blessée, le faisceau rendit les armes. Arqueboutés les uns dans les autres, les portions de tube fléchirent pour former en un ersatz grotesque de boomerang distordu. Les pupilles artificielles clignotaient de stupéfaction devant le résultat, qu’il tenait entre les mains sans savoir par quel bout le prendre désormais. Lui simplifiant le problème, la moitié de la pique à rallonge s’effondra, et les cylindres la constituant roulèrent et s’éparpillèrent au sol en vomissant charnières et boulons.

Première pensée.

*Il n’était pas prévu dans le cahier des charges, cet incident-là.*

Deuxième pensée.

*Est-ce que je peux encore pourfendre quoi que ce soit avec les deux malheureuses portions restantes ?*

Troisième pensée.

*Est-ce qu’à défaut elles peuvent m’empêcher de me voir pourfendu ?*

Quatrième et dernière pensée.

*Y a-t-il une autre arme accessible à une distance raisonnable ?*

Une hache de guerre paissant sur un caisson, à moins de deux mètres, sembla augurer un semblant de continuité au Geek Fou, qui bondit pour en saisir le manche. Bien évidemment, Natsumi s’empressa de lui barrer la route, ce qui n’empêcha pas Steve de l’emboutir sommairement avant qu’elle n’ait pu ajuster l’axe de dissuasion de sa rapière. Dévié par l’impact, il tâtonna quelques secondes sans quitter des yeux le retournement opéré par sa chère et délicate ravageuse de prototypes en attente de finalisation. Trouvant enfin le manche, alors que la gamine y allait de sa charge d’aurochs forcené, il se dégagea, exécuta un roulé-boulé qui ne valait guère plus du quart des points à une épreuve de gymnastique, et se redressa enfin pour assener sa vengeance.

S’accordant la contemplation du funèbre reflet émeraude miroitant sur les filets de l’arme avant d’assaillyr à son tour, il maintint la pose un instant. Puis il jeta avec lassitude le bâton aux pieds de son adversaire. C’est en ces moments-là qu’il haïssait la précipitation, l’inconséquence des choses et le système de correction visuelle dynamique de cet abruti de dégénéré d’iconoclaste d’ärm bilieux. La hache n’était pourtant pas si loin de ce stupide gaffi tusken, crénom d’un kromok écrêté !

« Bon. Admettons que tu aies gagné cette fois-ci. C’était fort judicieusement ajusté. »