*~°¤ Mär Heaven ¤°~*
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
*~°¤ Mär Heaven ¤°~*

Bienvenue dans le royaume de Mär Heaven ! Ce royaume paradisiaque que menace de détruire le diabolique Echiquier...Combattant, pion ou voleur ?
 
AccueilAccueil  RechercherRechercher  Dernières imagesDernières images  S'enregistrerS'enregistrer  Connexion  
Le Deal du moment : -55%
Coffret d’outils – STANLEY – ...
Voir le deal
21.99 €

 

 Le début de l'errance

Aller en bas 
AuteurMessage
Montjoie Saint-Denis
Militaire de la Cross Guard
Montjoie Saint-Denis


Nombre de messages : 23
Localisation : à la croisée des chemins, sous un ciel d'Automne aussi pâle que son âme ...
Date d'inscription : 31/03/2007

Le début de l'errance Empty
MessageSujet: Le début de l'errance   Le début de l'errance Icon_minitimeLun 23 Juin 2008 - 18:46

L'endroit sentait la sève, et peut-être l'humus, ou le parfum suave des fleurs blanches tachées de rose pâle ; un chien de chasse lâché près d'ici aurait pu retrouver la piste de quelque gibier, tel qu'un lièvre, un cerf ou un sanglier.
Un vent frais souffle sur les feuilles. Sous les pas du promeneur, craquent les branches mortes, faisant fuir les oiseaux des environs qui cessent de chanter leur colère pour fuir l'intrus, le perturbateur dans ce monde consacré à la verdure.
L'être civilisé n'a rien à faire ici : les ombres des arbres en fleur s'allongent pour capturer l'étranger, mais à quoi bon ? Que peuvent des ombres contre … une ombre ?
Elle ne peut percevoir l'odeur de la nature, ne prête son attention non au silence, mais à son contraire, révélateur de l'arrivée d'autrui ; en revanche, elle profite, autant qu'elle le peut, des lueurs polychromes reflétées sur les feuilles des bouleaux, coucher de Soleil sur une forêt profonde où ses rayons ne parviennent, déjà, plus directement au sol. Ça et là, des miettes de lumière chatoyante forment un éblouissant contraste avec la pénombre des sous-bois.
Dans cet état de nature, loin des Hommes et de leurs combats, Montjoie Saint-Denis se sent étrangement à l'aise ; pourtant il serait improbable que, dans cette futaie bien trop proche de la caserne de la Cross Guard, une Pièce téméraire ose s'aventurer. Hypocrite serait la combattante, si elle osait justifier sa présence à l'ombre des chênes par une spontanée patrouille, visant à empêcher une improbable attaque surprise sur le quartier général de l'organisation ; et pourtant, bien qu'elle n'en ait nul besoin, bien qu'Athanase Eärfalas, en chef proche de ses soldats, accepterait volontiers un espace de loisir à celle qui toujours en fait trop, tel serait bel et bien le comportement de Montjoie si quelqu'un lui posait la question. Peut-être considère-t-elle cela comme une méditation bienvenue, en contact avec ses pinceaux, grâce à laquelle des théories élégantes concernant les forces de l'Échiquier, la défense de la caserne, ou l'augmentation de sa propre puissance, lui viennent aisément à l'esprit ; à moins qu'elle ne se soit déjà rendu compte de son mensonge éternel, distillé si habilement que même sa conceptrice y croie encore –mais patience, bientôt éclatera la vérité, car on ne peut la contenir dans un livre ou une stèle, elle brûle d'être répandue et partagée ; et le moment est venu pour Montjoie de rencontrer ses failles et ses doutes.

Loin au-dessus des monts, loin au-dessus des collines … Il volait, ses appendices inutiles flottant dans le vide derrière lui.
À cette altitude, quasiment aucun bruit n'était audible, car même les oiseaux migrateurs, pour passer les montagnes, ne volaient jamais aussi haut. Ici, le seul son perceptible était le vent … Même les lambeaux qui le suivaient, pulsant et claquant à sa suite, fouettaient l'air dans un silence parfait.
Il l'avait enfin retrouvée … Après tant d'années, tant d'errances sur ses traces … Il semblait qu'elle touchait à peine terre, s'arrêtait un instant pour l'attirer à sa suite, le narguer ; puis, lorsque enfin il avait acquis assez de force pour lui parler et la vaincre, elle s'éclipsait dans un néant sanglant- les rôles semblaient s'être inversés. Pourquoi l'avait-il fait ?...
Soudain, le vent diminua d'intensité autour de lui. Un instant se coulant dans les bourrasques arracheuses de chairs de ces hauteurs, l'instant suivant parfaitement immobile, il contemplait à présent une tâche lumineuse infime qui apparaissait à ses pieds, comme une braise infime qu'un rien aurait pu souffler. Il aurait du être impossible de détecter une cible si petite, à travers des couches entières de nuages opaques et à cette distance -mais il n'utilisait pas de sens compréhensibles pour les hommes, et percevait distinctement le village.
Thaeru …
C'était donc sur ce lopin de terre qu'elle s'était réfugiée …
Bien que cela soit inutile, il replia les bras sous son manteau -et plongea.

Glissant dans un froissement de soie d'une racine épaisse, vivante, à un sol couvert par ce qui fut des plantes, la peintre chercha quelque temps, sondant la demi obscurité de regards vagabonds de son masque ivoirin, le lieu idoine : disposant d'un sol suffisamment plat pour poser le chevalet de peinture, qu'elle transportait plié sous son manteau, et d'un ciel suffisamment courbé pour qu'un infime éclat de sa lumière parvienne jusqu'à la terre, et de là jusqu'à l'œil de l'amateur, après avoir jailli de la toile. Montjoie ne peignait que d'après nature : son espèce manquait d'imagination pour concevoir des images impossibles. Elle constatait souvent, sans amertume mais avec un vague sentiment de gâchis, de possibilité inexploitée, que sa race ne parvenait à rêver que sur les sujets les plus inertes qui soient- la science expérimentale, la logique pure, la stratégie militaire, l'architecture ; à l'occasion la politique ou la psychologie ; mais sur l'essor de la philosophie, l'art abstrait … les relations humaines -mais était-ce si surprenant, après tout ?...- …, jamais elle ne pouvait créer. Les innovations et les émotions étaient deux domaines pour lesquels la fratrie des derniers Saint-Denis ne manifestait que peu d'affinité -et Montjoie, la dernière, la brisée, était la moins encline à changer cet état de fait.

Enfin, la militaire découvrit un terrain dégagé, au centre de ce qu'on pourrait charitablement appeler une clairière, où la lumière gouttait du haut des nuages bas.
Procédant avec ordre et méthode, la Saint-Denis fit le tour de ce trou de verdure, afin de s'orienter dans la direction la plus moussue de rayons du Soleil. Ayant trouvé la direction idoine, elle poussa, même, le soucis de la précision jusqu'à guetter, non plus le simple emplacement optimum, mais bien la hauteur, et même l'inclinaison du corps, qui offriraient le meilleur des tableaux, celui qui réjouirait le cœur, et réchaufferait les os, à l'heure où, dehors, la neige froide aura remplacé les pétales. Par chance, la position debout était encore celle, à cette occasion, qui montrait les plus grandes prédispositions pour la peinture : parfois, Montjoie avait du peindre à terre, s'appuyant d'une main sur le sol, et, de l'autre, dessinant de la pointe du pinceau les colonnes militaires des fourmis ; ou bien allongée sur le dos, retranscrivant la course des nuages, condamnée à tenir sa toile debout sur son ventre maigre ; mais pas de ça ici. Tout comme chacun de ses ancêtres, et ce depuis presque six siècles, la dernière des Saint-Denis engendrait des merveilles sans même remarquer ce qui paraîtrait des obstacles à d'autres -comme la difficulté, ou le prix à payer- ; mais une posture confortable ne pouvait, en aucun cas, nuire à ses œuvres.
Le regard figé, ne quittant pas des yeux un point imaginaire de l'espace, la créature sortit méticuleusement des entrailles de son large manteau obscur un étrange assemblage de bois, d'allure indéterminé, qui ne révéla sa vraie nature qu'après l'interlude d'un déploiement en aveugle d'une lenteur infinie : c'était un chevalet de peinture. La combattante daigna enfin quitter des yeux ses lignes de fuite pour placer sur son piédestal verni l'indispensable toile propre à accueillir les étoiles, le ciel, ou les nuages ; puis ce fut au tour de boîtes innombrables, de pinceaux classés par grandeur, de gouaches, de crayons, de gommes, de règles et d'équerres -et de mille autres choses, étranges et merveilleuses, que seul un autre artiste peintre aurait pu appeler et, apprivoiser.
Alors commença, pour Montjoie, le miracle banal, à l'éternel retour : celui de la première esquisse, crayonnée, imprécise, mais, pourtant, si adroite, seule capable de saisir, avant même les premières couleurs, l'essence première, l'étincelle ineffable et cachée ; son âme, pourrait-on dire ; mais tous les sujets de l'artiste ne s'en étaient pas révélés pourvus … Celui de la première goutte de couleur qui tombe enfin sur une terre desséchée, et grisâtre, apportant la vie à la mort ; celui de l'existence véritable, celle qui s'acquiert par aplats successifs sur une simple surface, et qui traverse les siècles, sans subir les outrages du temps, et les quolibets des enfants ; c'était le secret de la peinture même.
Autour de la peintre, timidement d'abord, puis plus assurés, les oiseaux se remirent à chanter, voyant que la visiteuse ne pouvait pas, décidemment, leur apporter le moindre mal ; mais la Saint-Denis n'en avait cure, et ne le remarqua même pas. Seule résonnait à son oreille l'harmonie des couleurs : elle était possédée.

Le pinceau hésita, s'arrêta, et se retira, délicatement. Malgré ce trouble, il était impensable de ruiner la beauté pour une simple maladresse, née, qui plus est, d'une impression somme toute injustifiée.
Quelque chose n'allait pas.
C'était une sensation subtile ; le profane, peut-être, ne l'aurait pas décelée, mais elle frappait le cœur de Montjoie, comme un pieu enfoncé avec rage.
Pour le passant, cette œuvre, bien qu'inachevée, promettait déjà un abord des plus charmant ; à coup sûr, il émanerait de ce cadre une sérénité apaisante, née de quelque chose d'innommé, invisible mais pourtant bien présent entre les troncs anciens, la luxuriance calme et discrète des fougères chantantes, la douce radiance consolatrice qui émanait d'au-delà du tableau. Aucun personnage ne figurait, car le spectacle même de la nature se suffisait à lui-même, et s'offrait au regard de l'admirateur comme l'intimité même des bois, où les arbres s'enlaçaient tendrement de leurs branches, et où les autres plantes jouaient à leurs pieds : cette clairière était un havre de paix, qui accueillait à bras ouvert tous ceux qui avaient besoin d'une famille, et les absolvait de leurs fautes.
Mais, pour Montjoie, ce tableau sonnait faux : pour une raison inconnue, mais tenace, cette impression de paix et d'acceptation, initialement escomptée, émanait bien d'une partie de la toile, mais, peu à peu, se changeait en quelque chose de plus dérangeant. Les fougères ne chantaient plus, elles se taisaient, et se recroquevillaient contre les chênes à la dure écorce. Les arbres millénaires eux-mêmes, qui avaient survécu à des siècles de bûcherons, et se riaient des loups, semblaient soudain trembler, devant quelque menace diffuse, et se protégeaient mutuellement de leurs branches aux rameaux acérés. L'artiste avait bien essayé de corriger cette sensation étrange et déplaisante, mais ses efforts patients ne faisaient qu'empirer une situation déjà tendue. Les fougères se terraient toujours dans les ombres, et leurs pauvres tentatives pour en sortir paraissaient déplacées, comme un espionnage sournois. Les arbres avaient cessé de trembler, mais, redressés de toute leur grandeur, suintaient à présent de mépris et de haine pour celui qui les regardait ; ils gardaient toutefois leurs branches à portée, comme pour se prémunir d'une attaque ou d'une traîtrise. La lumière du Soleil, basse sur l'horizon, émergeait, à présent, d'entre les feuillages drus et serrés, comme des lames de lumières, seuls présents que les puissances célestes, coincées derrière leur barrière de branchages, daignaient envoyer aux mortels -à moins qu'elles n'en aient guère le choix. Quelque chose dissonait, clairement : à ce rythme, si la Saint-Denis poursuivait son tableau, il n'aurait bientôt plus à offrir qu'une étrange et funeste sensation de défiance. L'hostilité qui émanerait de cette chose serait presque palpable … Quelque chose avait dissoné …
Le modèle. Soudain, Montjoie sut. Le modèle. Elle n'était capable de peindre que ce qui existait vraiment, se contentant de retranscrire sur sa toile les émotions qu'elles déchiffrait depuis l'âme même des gens -ou qu'elle savait par expérience qu'ils éprouveraient, si jamais ils se trouvaient dans cette situation. Elle était incapable de mentir par la gouache, elle ne pouvait qu'anticiper. Par conséquent, si le tableau changeait, c'était que …
… la clairière avait changé. Le soir commençait à faire place à la nuit, à une heure où les frontières entre les règnes s'effacent, où l'on peut aisément confondre une silhouette d'outre-tombe et la forme d'un arbre : cette période indistincte qu'on dit "entre chien et loup". Les oiseaux avaient, depuis un certain temps déjà, cessé de s'exprimer.
Montjoie réfléchit calmement : pourquoi toute cette inimité ? Contre quoi était-elle dirigée ? Elle se remit en phase avec l'âme de ces bois, en artiste chamane. Elle ? Pourquoi donc ?... Alors elle comprit. Elle se retourna lentement, car telle était la direction que lui indiquaient les futaies ; et derrière elle …
… elle
le vit.
Revenir en haut Aller en bas
Montjoie Saint-Denis
Militaire de la Cross Guard
Montjoie Saint-Denis


Nombre de messages : 23
Localisation : à la croisée des chemins, sous un ciel d'Automne aussi pâle que son âme ...
Date d'inscription : 31/03/2007

Le début de l'errance Empty
MessageSujet: Deux âmes en sursis   Le début de l'errance Icon_minitimeLun 23 Juin 2008 - 18:48

Il se tenait debout, patient, en face d'elle. Son attitude n'était pas menaçante, plutôt surprise ; mais Montjoie croyait y voir mêlés du désespoir à peine illuminé par le soulagement, de la peur teintée de féroce cynisme, et de la haine- contre le monde, contre la combattante, contre lui-même. Pourtant, aucune de ces émotions ne pouvait être lue sur ce qui lui tenait lieu de visage : un masque bleu, sans bouche, orné de deux barres noires venant prendre les yeux de verre noir en étaux. De même, il aurait été impossible de décrire ses cheveux : son tricorne noir et blanc, rehaussé d'une bande de tissus bleu et or, dévorait l'arrière de sa tête, tout comme ces simples couleurs l'avaient probablement déjà fait …
Ses pieds ne reposaient pas sur le sol. D'ailleurs, Montjoie savait qu'ils en auraient été incapables. Ses membres inférieurs semblaient être repliés sous le large manteau qui couvrait intégralement sa carcasse de squelette, mais dont les motifs à carreaux noirs, blancs, rougeâtres, et incolores, à peine souillés de terre brune, n'empêchaient pas d'apercevoir les troncs apeurés qui surveillaient avec nervosité son dos ; ses jambes faisaient des déformations bosselées à la surface du tissu. En revanche, ses bras, recouverts par des manches ajustées à la perfection et prolongées par des gants mi-blancs, mi-rougeâtres, oscillaient au rythme du vent, tout comme les extrémités déchirées de sa toge qui balayaient l'humus de la forêt. Ils battaient lentement une mesure que nul ne pouvait entendre, se pliant dans d'imperceptibles crissements selon des angles improbables et infimes, avant de se dérouler comme des fouets, révélant de ce fait des déformations étonnantes qui n'empêchaient pas les muscles et les os de danser. C'était bien même tout le contraire.
Montjoie, elle, savait bien d'où provenait l'exceptionnelle souplesse des bras de l'apparition ; elle n'ignorait pas que des excroissances ivoirines qui n'auraient jamais du voir le jour pulsaient sourdement sous son manteau ; elle connaissait l'origine de la boue séchée qui couvrait ses habits -une boue sombre, riche, une boue qui provenait d'un monde à des années, lui semblait-il, de là ; un monde de brume, de pluies, et de combats mortels.
Elle ignorait la nature véritable de ce qui se trouvait présentement sous le costume trop large, mais cela n'avait pas d'importance -les légendes Nimbralis n'étaient jamais claires sur ce point, et donc, elle ne s'en souciait pas.
Ce qu'elle savait, en revanche, c'est qu'elle avait elle-même enterré son cadavre, dans cette même tenue funéraire, il y a bien longtemps, au pied de la tour où il avait vécu, et qui, désormais, était sa pierre tombale.
Brusquement, comme une déferlante trop longtemps retenue derrière un barrage édifié avec soin, les souvenirs lui revinrent, et une unique larme, invisible derrière son masque, se mit à couler sur sa joue.

Montjoie fit mine de prendre son carnet, puis renonça. Quelle importance ? À présent, son existence insensée allait enfin reprendre vie. Tout redeviendrait simple … comme avant.
Elle s'inclina lentement, dans un bruissement de soie ; sa voix, rauque, profonde et sifflante, trop longtemps inutilisée, mais, par chance, encore bien conservée, déchira le silence pesant.

"Père …"
De façon surprenante, les paroles qui l'interrompirent furent parfaitement compréhensibles -peut-être, tout simplement, parce qu'elles n'avaient jamais été dites. C'était une voix grave, calme malgré l'agitation redoublée des serpents de bras de son détenteur.
"Ne m'appelle pas ainsi. Je suis simplement … Christobald Saint-Denis."
Les deux êtres masqués se dévisagèrent, tous les deux pris au dépourvu par une rencontre qu'ils avaient souhaité, mais en laquelle ils avaient depuis longtemps perdu foi.

L'homme au tricorne reprit finalement.


" - Je t'ai longtemps cherché, tu sais. J'ai erré de villages en cités, et le temps que j'arrive, tu t'étais déjà envolée …
- Depuis combien de temps …?
- Peu après ton départ. J'avais des remords, tu sais …
- Vous n'avez pas à regretter ainsi. Ce qui est arrivé, est arrivé ; nul ne peut revenir sur le passé, même pour annuler une traîtrise. En revanche …
- Ce n'est pas de cela que je parle."

Christobald Saint-Denis contempla sa fille. Dans un manteau usé, un corps malade ; et dans ce corps malade, une âme meurtrie. Pouvait-on, véritablement, appeler ça une âme ?... Pourquoi hésitait-il autant ? Elle n'était pas humaine, car c'était là un monstre qu'il avait engendré. Il n'avait "survécu" que pour cette décision, il n'avait pas "regretté", il avait été rongé, consumé par le remord !... Et pourtant … Ses yeux se perdirent dans la toile inachevée. Pourtant …

" - Tu peins bien.
- Je reproduis ce que j'observe.
- Oui, bien sûr … Ce n'est que ça …

- Dites-moi …
- Ne me vouvoie pas.
- … comment est-ce ?
- De quelle …? Ah, ça ?... C'est … épuisant. Tu n'imagines pas les efforts que je fais en ce moment même pour rester visible …
-
- Tu disposes peut-être de facultés de perception surhumaine que même de mon vivant je n'aurais jamais pu posséder, mais crois-moi, crois-moi, tout ça ne vaut pas la fatigue interminable qui te ronge. Tu vois, cette "vie" est comme une insomnie, lorsque tu cherches l'endormissement, quelques heures avant minuit … Tu es peut-être épuisé, tu appelles le sommeil à grands cris, tu rêves de l'apaisement -ou plutôt non, tu ne rêves pas-, même un cauchemar te satisferait ! Et bien non : tu es condamné à rester en éveil, et tu vis tes cauchemars dans la réalité. Et tu trembles, à la simple vue de ton ombre, sur le mur.
-
- C'est épuisant …
- Peut-être ... pourrois-je faire quelque chose pour vous ?...
- Non, je ne crois pas … Quoique si, je te connais, quel que soit l'ordre que je te donne, tu trouveras un moyen de le faire. Tu as toujours été la plus … zélée.
- Je n'en ai pas encore fini avec votre dernière demande, père.
- … Continue.
- Je n'ai éliminé que quelques Pièces mineures, mais je n'ai pas encore frappé la bête en son cœur ; mais point de crainte, j'ai rejoint la Cross Guard : avec un tel appui je sauroi bien en finir enfin avec votre meurtrier.
- Lui-même n'est-il pas déjà mort ?
- Si fait. Mais j'ai craint que vous ne trouvassiez point le repos avant que je ne tuasse TOUS vos meurtriers. Vostre assassin, aussi mauvais fut-il, n'étoit que le bras armé d'une vaste organisation ; vostre vengeance ne peut souffrir le manque de rigueur. Je les tueroi tous. Et ainsi, vous pourrez enfin rejoindre les cieux …"

Les bras flexibles, tentacules gantés, se coulèrent doucement autour de la gorge du père de la soldate, écharpe organique agitée de frissons.


" - Non, je ne crois pas, Montjoie.
- … Que voulez-vous dire ?...
- J'entends que tes turpitudes prennent fin ici, démon.
- … Pardonnez-moi, mais je ne comprends point …
- Tu ne comprends pas … C'est pour cela que je suis ici, au lieu de jouir du repos éternel de la mort …"

L'apparition eut un spasme discret qui se répercuta dans ses os, puis disparut sans un son.

"Avant ma mort, je ne m'étais jamais préoccupé du destin des esprits à la fin de leur existence charnelle. Je m'intéressais à la durée de leur persistance sur ce monde, et aux moyens de la prolonger, mais à titre purement expérimental … Je n'avais jamais fait d'examen de conscience. Pour moi, les morts n'étaient que des sujets d'expériences comme les autres, sacrifiables à loisir comme les cobayes que j'avais coutume d'employer … Il faut bien faire des sacrifices, pour faire avancer la recherche, n'est-ce pas ?... C'est ce que je me disais … comme tous les autres Saint-Denis …"

Montjoie écoutait en silence dans une immobilité totale, comme si elle se recueillait.

"C'est ainsi que j'en suis venu à … ce que tu sais. Bien sûr, sans l'Échiquier, je ne serais jamais passé à l'acte un jour … J'étais trop attaché à la terre, et j'ai réagi violemment quand ils ont entrepris de m'arracher le travail de toute une vie, puis, comme je m'y refusais, la vie de tous mes proches."
Feu Christobald hocha lentement la tête, perdu dans des souvenirs dont il était le seul témoin encore en vie.
"J'ai oublié que ce n'étaient que des hommes. Des créatures limitées, naïves. Peu leur importait la sapience ; j'aurais du tout simplement leur offrir de quoi apaiser la soif de pouvoir de la Reine, et ils m'auraient oublié … ou bien brûler mes livres et mourir … Au lieu de quoi, j'ai tout sacrifié à l'idole du progrès, et à la défense de mes travaux … et j'ai choisi de les défendre, à n'importe quel prix, et je vous ai appris à tuer … tous tes frères et sœurs ont disparu dans la mêlée, les corps n'ont jamais été retrouvés, ni les âmes. Ta mère aussi est morte … Par ma main …"

Le corps intangible du sorcier s'affaissa, et se convulsa rythmiquement, en silence ; tout à fait comme s'il pleurait. Pourtant sa voix restait égale.

"J'avais cru pouvoir accomplir le rituel sans risque en multipliant les officiants … J'aurais du voir … J'aurais du savoir qu'on n'expérimente pas avec la magie interdite … mais j'ai fait pire !"

Enfin, des sanglots apparurent.


"J'ai persisté dans cette voie ! J'étais fou, tu m'entends ? Fou de remord … et j'ai attribué la faute à l'Échiquier, celui sans qui jamais je n'aurais eu besoin de me défendre, sans qui jamais cette … nécromancie ne m'aurait pris ma femme ! Et c'est pourquoi … j'ai tout fait pour me venger … et … j'ai appelé la magie dans ton corps.
Pour te "renforcer" … pour "t'améliorer" … pour que tu venges les Saint-Denis, en anéantissant leurs ennemis … l'Échiquier ! Et tu l'as fait … mais cela ne les a pas empêché de me tuer."

Montjoie se souvenait … une erreur imbécile, enfantine … et la plus sinistre de toutes les Pièces qui les avaient approchés s'était penchée sur le corps de son père … ce corps qui était encore en vie quand elle l'avait trouvé.
Ses dernières paroles avaient été pour maudire l'Échiquier.
Revenir en haut Aller en bas
Montjoie Saint-Denis
Militaire de la Cross Guard
Montjoie Saint-Denis


Nombre de messages : 23
Localisation : à la croisée des chemins, sous un ciel d'Automne aussi pâle que son âme ...
Date d'inscription : 31/03/2007

Le début de l'errance Empty
MessageSujet: La dernière image   Le début de l'errance Icon_minitimeLun 23 Juin 2008 - 18:50

Le ton de Christobald était redevenu égal.

"Je suis devenu un Passeur … Un Revenant. Je n'avais jamais imaginé être un jour dans le rôle du sujet d'étude … J'ai beaucoup réfléchi, après ma mort, à mon attitude. J'aurais du faire ce bilan de vie bien avant, mais sur le coup, je me suis dit qu'avant de rejoindre définitivement l'au-delà, je me devais de le faire … avec le détachement que j'ai acquis en quittant mes chairs torturées."

Le Spectre remua lentement ses bras longilignes, brisés en de si nombreux endroits qu'ils n'avaient plus rien de rigide, excepté les échardes d'os.
Sous son manteau des formes coulissèrent ; son masque énigmatique était plus impénétrable que jamais …


"C'est alors que j'ai réalisé … la vacuité de ce que j'avais fait. Pire, leur horreur. J'avais consacré mon existence à la construction d'une citadelle de savoir, et qu'ai-je reçu en échange ? La convoitise, et la violence, ont pris tout ce qui importait à mes yeux, et ma science n'a sauvé personne … Au contraire … Les fruits de l'arbre de la connaissance sont maudits, mais je ne l'avais pas compris … Il aurait fallu le brûler, au centre du jardin d'Éden, et saler la terre pour que jamais il ne repousse …"
Son manteau dansait comme les flammes …
"Par chance, la tour a brûlé peu après ton départ, frappée par la foudre contre laquelle plus aucun sortilège ne la protégeait … Tout fut réduit en cendre. Je l'ai vérifié. Tout … Ou presque. L'une de mes créations anathèmes a survécu … et c'est toi, Montjoie.
Tu as survécu, et tué les membres de l'organisation, conformément à mes ordres. Tu ne le feras plus !
Que jamais des innocents ne meurent par ta faute !
Tu n'as suivi que mes ordres dictés, refusant la liberté de conscience que je t'ai accordé. Tu ne le feras plus !"
Le fantôme s'était élevé dans les airs, ses bras formant d'étranges mudras sur le ciel ; sur sa toge des carreaux colorés réapparurent, tandis qu'il concentrait ses forces, prêt à livrer son dernier combat.
Son adversaire, pourtant, restait étrangement apathique, comme à son habitude. Il se contentait d'écouter avec attention les griefs qu'on lui faisait, et paraissait accepter sereinement la mort qu'on lui destinait.

"Que jamais nos routes ne se recroisent !
Tu as vécu longtemps une vie impie."
Le père de Saint-Denis hérissa à sa surface de multiples épines d'ossements, parcourues d'une énergie bleutée luisant faiblement. Et chargea, visant la gorge.

"Tu ne …"
Montjoie ne réagissait toujours pas.

L'obéissance était la première notion que lui avait inculquée son géniteur. Dans l'esprit de la créature, désobéir n'était même pas envisageable. Si son propre père avait décidé d'anéantir son existence et sa race, et bien … qu'il en soit ainsi. Nulle objection ne lui venait aux lèvres.
Son propre père …

Son propre père …

Un éclair d'argent
Fusa.

Le hurlement du spectre mourut dans sa gorge lorsque la corde d'argent déchira son essence solidifiée en deux sections égales, qui se dissipèrent comme une fumée de part et d'autre de ce qui était dorénavant bel et bien la dernière des Saint-Denis.
Puis la chose tourbillonna de nouveau autour d'elle, tandis que se faisait entendre une voix masculine apaisante qui criait
"Surtout, ne bougez pas ! Il y en a plein autour de vous !".
Montjoie ne bougea pas, tétanisée. L'insaisissable filet de mercure se couvrit de fragments blanchâtres d'ectoplasme, qui apparaissait un instant dans la mort de son esprit ; puis se fondait dans le néant dans un soupir, de rage ou de soulagement.
Dans un souffle d'air, les survivantes des innombrables victimes de Saint-Denis, et de toutes les âmes errantes mortes de la main de l'Échiquier attachées à un vengeur aussi inéluctable, s'enfuirent vers la lune levante, criaillant des imprécations et des rires en esquivant les assauts argentés de l'homme pestant.

"Revenez !... Bah, ils ne perdent rien pour attendre, ceux-là."
Montjoie ne bougeait pas. Christobald avait disparu …
Un bruit métallique se fit entendre.

"De toute façon, s'ils savent où est leur intérêt, ils reviendront … Ou bien Otto Van Der Snatzch, le chasseur de fantôme, ira les chercher !... Monsieur ! Eh ! Monsieur !"
Des bruits de pas se rapprochèrent de Montjoie, et un homme entre deux âges aux cheveux blancs mi-long apparut dans son champ de vision, un regard inquiet luisant derrière ses lunettes rondes.
"Vous allez bien ?... Ils n'ont pas eu le temps de vous bouffer l'esprit j'espère ?!? Eh ! Je vous ai sauvé !"
Inquiet de l'état catatonique de Montjoie, l'exorciste la gifla, en continuant de l'implorer qu'elle se réveille. La chose encapuchonnée réagit enfin, et d'un mouvement de la tête, manifesta à son interlocuteur qu'elle vivait, et qu'elle le regardait.
Le meurtrier de son père se trouvait en face d'elle …

"Vous êtes vivante ! Oh, j'ai eu peur ! J'ai bien cru que j'étais arrivé trop tard, là, quand j'ai vu l'autre au tricorne se jeter sur vous ! Vous pouvez dire merci à Otto Van Der Snatzch, l'exorciste errant, et à la providence qui a voulu que je me sois trouvé dans les parages quand votre type m'est descendu des cieux ! Sans ça, Holy Chain n'aurait rien pu faire !"
L'ärm ainsi nommé, une chaîne argentée, vibra dans les mains de l'homme, émettant une douce lueur argentée qui illuminait la pénombre. Certains de ses replis étaient évanescents, comme s'ils ne daignaient pas partager le même plan d'existence que le reste de l'univers.
"Elle peut frapper les âmes, c'est pour ça qu'elle est vitale pour le chasseur de morts que je suis !"
Montjoie le regardait sans un mot. Sa main se contracta autour de son pinceau, qu'elle tenait toujours. Il était juste en face d'elle …

"Dites, vous m'entendez ?... N'ayez pas peur, je ne ferai aucun mal. Je ne m'en prends qu'aux Non-morts -je les perçois dans un rayon d'environ vingt mètres-, et vous n'en êtes pas un. Calmez-vous … Tout doux, tout doux …"
Montjoie répondit enfin.
"Je vous remercie de m'avoir sauvé, M.Van Der Snatzch."
L'autre sursauta en entendant pour la première fois la voix grasse de celle qu'il avait sauvé.
"De rien, c'est mon travail, mais mes excuses Monsieur, si vous ne voulez pas que je doive vous enterrer ou vous envoyer ad patres moi-même dans les heures qui viennent, vous feriez mieux d'aller consulter un médecin ! Foi d'Otto !"
Montjoie constata sans émotion :
"Cela fait plusieurs années que je parle de cette voix-là, et je tiens encore debout. Je vais très bien. Je vous remercie infiniment. Vous pouvez repartir."
"Et vous laisser vous faire rattraper par les petits vicieux qui se sont enfuis tout à l'heure ?!? Mais pour qui me prenez-vous ?!?", explosa l'exorciste. "Je vous accompagne, vous devez être faible. Je suis sûr qu'ils ont déjà du vous pomper de l'énergie vitale, s'ils étaient aussi nombreux, c'est probablement qu'ils vous vampirisaient depuis déjà un bout de temps … J'ai entendu dire que la caserne de la cross Guard se trouvait dans les environs, ils auront sûrement de quoi s'occuper de vous là-bas. Des spectres, c'est précisément le genre de choses dont l'Échiquier raffole !"
Il arrêta sa diatribe pour cracher par terre, et Montjoie en profita pour lui indiquer la direction de la caserne -d'un geste cette fois : à présent que le temps reprenait son cours, la douleur à sa gorge faisait de même.
Montjoie songeait …


*Vos instructions furent bien reçues, père.
Je ne poursuivroi point l'extermination systématique des Pièces conformément à vos ordres.
Je ne tueroi point les innocents.
Je n'obéiroi point aux ordres sans comprendre, et approuver.
Je ne croiseroi point vostre route … avant quelques millénaires … Non, vous ne supporteriez point ce manque de rigueur. Il faut que je trouve un moyen de vous survivre … pour l'éternité. Vous avez toujours eu confiance en moi. Soyez sans craintes, père. Je trouveroi un moyen de ne jamais vous rejoindre … même dans l'éternité.
Je vous dois bien cela.*

Et tandis qu'Otto Van Der Snatzch poursuivait sa harangue contre les morts-vivants et l'usage inconsidéré que l'Échiquier en ferait s'il les connaissait mieux, Montjoie se laissait porter par ses paroles et par son bras, et regardait les étoiles.
C'était une nuit sans nuage ; il ferait beau demain.

Date à laquelle, au grand dam de son sauveur, Montjoie disparut sans laisser la moindre trace de son passage dans le bâtiment militaire de la Cross Guard.

Dans la matinée, un promeneur allait avoir la surprise de découvrir sur son itinéraire un chevalet de peinture, entouré de divers instruments, sur lequel reposerait une peinture inachevée, mais d'un goût magnifique. Son auteur demeurera à tout jamais inconnu.

C'était effectivement une assez belle journée.
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





Le début de l'errance Empty
MessageSujet: Re: Le début de l'errance   Le début de l'errance Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
Le début de l'errance
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
*~°¤ Mär Heaven ¤°~* :: Le continent :: Thaeru-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser