Le vide n'a pas besoin de nom.

Un souffle de vent, un silence de mort, une auguste mélopée qui m'a bercée depuis toujours. Enfin, aussi longtemps que je m'en souvienne, j'ai aimé le vent. C'est à la fois vivant et inexistant, à mon image. Quand j'ignore ou aller, je suis le vent. Il me guide. Il me semble parfois, quand le soleil tombe à l'horizon et que Zéphir se lève, qu'il me prend la main et m'entraine à le rejoindre. J'ai une conviction, je vent est un courant qui contient les âmes des morts qui nous ont été proches. Quand je sent le vent je revois la troupe, je revois le chef.
Ils me tiennent la main, ils me guident dans ce monde où tous n'est que souillure.

Me voici, marchant sous les arbres pleurant. Leurs branches s'agitent et me caressent le visage. Aujourd'hui est un jour de grand vent. Un jour où ma vie va changée.
Sur mes épaules et ma tête, un capuchon de toile brune et grossière. Il est laid et gratte, mais il me protège de la pluie et du froid, alors je l'aime bien. Une bourrasque de vent souffle plus fort que les autres, et ma capuche tombe découvrant mon visage. Je ne prend pas la peine de la remettre, si le vent à décider que tous devaient voir mon visage, alors d'est qu'il doit y avoir une raison.

Je sourie, je le savais, il a toujours raison. Je ne le voyais pas à cause des branches tombantes mais agitées des saules pleureurs, mais face à moi se dresse une grande et majestueuse bâtisse. Au dessus de la lourde porte de bois, un étendard brodé d'une croix claque fièrement dans les airs.
La caserne de la Cross Guard, j'y suis enfin. Ils ont guidé mes pas pour ne pas que je me perde, pour que je suive les siens. Mon coeur bas vite, il explosera peut être si ça continu. Je ne le souhaite pas, j'ai tellement envie d'entrer ici. J'avance en tremblant jusqu'à l'entrée, majestueuse est le seul mot qui pourait convenir. Mais glorieuse et triomphante sont les seules idées qui me vienent à l'esprit.
Ma main, ma petite main au poignet fin et blanc, se glisse hors de ma manche pour frapper timidement à la porte.

*Par pitié acceptez moi, c'est ma seule raison de vivre.*

Je sent le vent derrière moi qui souffle dans mon dos et me pousse inexorablement vers là où j'ai jurée d'aller. C'est un bon présage.

Quelques coups timides résonnèrent dans le silence du hall désert de la caserne. Ou plutôt, presque désert. Mais lorsque quelqu’un n’est présent que pour se cacher, être seul, enfin, avec sa peine, et efface de lui-même sa présence, peut-on dire qu’il est véritablement là ?

Assis contre le mur, dans la pénombre, les genoux entourés de ses bras, Athanase broyait du noir. Son cœur était assombri de nuages, et il n’arrivait pas à s’en défaire. Des impressions, des peurs fugaces … L’avenir lui faisait peur, tout comme lui faisait peur l’insouciance de beaucoup de ses soldats. Il regrettait sa timidité, mais y restait empêtré. Bien sûr, tout n’était pas noir, mais c’est ainsi qu’il est … Toujours à se focaliser sur le pire, comme s’il ne méritait pas le meilleur …

Le bruit léger le sortit de sa rêverie morbide. Il releva les yeux, et les tourna vers la porte. Oui, il avait bien entendu des coups. Pas très fort, mais des coups quand même. Il se remit debout, sentant sous sa main le froid de la pierre du mur sur lequel il s’appuyait. Il s’accorda quelques instants fugaces pour respirer à fond, se composer un masque avant d’ouvrir à l’inconnu qui attendait.

La porte pivota sur ses gonds avec un léger grincement. Nobody et Athanase se retrouvèrent face à face. Jeune fille aux cheveux turquoise et jeune homme aux cheveux gris. Comme son âme.

Il y eut un léger silence, qu’Athanase se força à rompre.

« Bonjour mademoiselle, que puis-je pour vous ? » dit-il d’un ton neutre.

Neutre, pour se donner une contenance. Il refusait de laisser paraître la moindre faiblesse. Il devait protéger les plus faibles que lui. Les gens sans pouvoir, victimes de l’absurde soif de puissance de quelques fous. Victimes de l’Échiquier.

Je frappa doucement à la porte, puis attendit. Rien, que le silence. J'avais peur et regretais déjà mon geste. Qui a dit que ces gens allaient bien vouloir de moi ? Personne. J'aillais faire demi-tours quand la porte s'ouvrit et un jeune homme apparu. Je le détailla, en fait je croit qu'il m'a un peu surprise. Il était à peine plus agé que moi, mais ses cheveux d'un gris étrange le vieillissaient . Il semblait terriblement adulte, en plus de ses cheveux, ce fut comme si quelque chose me souffla qu'il avait des responsabilités. Qu'il avait été trainé trop tôt dans l'horrible monde des adultes.
Il me faisait de la peine.

Je me ressaisi quand il m'adressa la parole pour me demander ce qui m'amenait. Son ton se voulait neutre, mais dans ses yeux gris, une lueure faible, triste. Comme s'il avait quelque chose de trop lourd sur le dos. Un passé tragique peut être ? Un pouvoir brûlant ? Je n'en savais rien, mais je n'avais alors qu'une envie, porter pour lui un peu de sa tristesse.

"Je... je voudrais savoir s'il y a moyen d'entrer dans la Cross Guard. Je sais me battre, je vous serai utile. Regardez, j'ai un ärm..."

Je passa ma main glacée par l'air froid dans la chaleur de mon col et en resortie mon ärm. Un pendentif en argent marqué du célèbre blason de la Cross Guard. Je le mit dans la main de l'homme en face de moi, si jamais il voulait l'examiner à sa guise. J'avais confiance, il n'allait pas se sauver avec, un soldat de la Cross de ferais jamais ça. Mais ce que j'espérais le plus, c'était qu'il me donne des informations sur cet objet.

"Je... je m'appelle... euh je ne sais pas comment je m'appelle... trouver moi un nom monsieur... euh ?"

La jeune fille paraissait intimidée, mais comme lui, elle prenait sur elle pour parler tout de même, pour dépasser sa crainte. Elle souhaitait donc entrer à la Cross ? Et apparemment elle y tenait beaucoup, puisqu’elle insistait en affirmant qu’elle saurait se montrer utile … Dans l’esprit d’Athanase, une petite lueur se fit jour. Il y avait encore des gens qui semblaient vouloir défendre les autres coûte que coûte. Il n’avait pas face à lui un autre de ces fous qui entrent à la Cross comme on s’inscrit dans un club de sport, à la fois pour s’entraîner et pour s’amuser. Il sentait au fond de lui que cette fille avait véritablement la vocation.

Elle sortit du col de son vêtement une chaîne qu’elle détacha. Elle posa l’ärm dans la main d’Athanase, lui donnant à voir son potentiel.

Le jeune homme fut troublé par ce geste de confiance, si rapide, alors qu’ils ne se connaissaient même pas ! mais plus encore par l’ärm lui-même. Il avait la forme du blason de la Cross Guard. Athanase ignorait toujours ce qu’il était advenu des précédents occupants de la caserne, mais les évènements avaient occulté cette question. Cet ärm lui remettait en mémoire.

Le métal était étrangement glacé contre sa paume, alors qu’un instant avant il était encore en contact avec le corps de la jeune fille. Athanase sentait sans trop pouvoir dire comment que cet ärm avait un grand potentiel. Il éprouvait une sensation étrange, qu’il ne parvenait pas à définir … Il finit enfin par mettre le doigt sur ce qui le gênait : l’objet paraissait … lourd, d’un point de vue magique. Il détournait une partie infime de son flux de magie, sans même qu’il ait la moindre volonté de l’activer. Un soldat de la Cross avait donc créé un tel ärm …

Perdu dans ses pensées, il ne releva les yeux que lorsque la jeune fille face à lui reprit la parole sur un ton hésitant. Ce qu’elle disait était surprenant. Pas de nom ? Était-elle amnésique ? Quoi qu’il en soit, Athanase fut prit au dépourvu par une telle demande. Il chercha ses mots, détournant légèrement le regard sans s’en rendre compte.

« Vous pouvez tout à fait entrer à la Cross. J’en suis actuellement le chef, et je vous accepte volontiers dans nos rangs. »

Il marqua une pause, ne sachant que dire. Quand il reprit la parole, sa voix avait perdu un peu de son assurance de façade, laissant entrevoir la timidité dissimulée derrière.

« Vous … vous n’avez pas de nom ? Je … j’en suis désolé, je … Je ne pense pas être le mieux placé pour vous baptiser, je ne vous connais qu’à peine … Ne serait-ce pas mieux que vous vous choisissiez vous-même un nom ? »

Pour dissimuler son embarras, il lui tendit son ärm.

« Votre ärm me parait puissant. J’espère que vous savez le contrôler, je n‘aimerais pas qu’il vous arrive quelque chose … »

Des failles apparaissaient de plus en plus dans son apparente assurance. Sa tête légèrement baissée, ses épaules à peine refermées comme s’il voulait se protéger de l’extérieur, tout cela n’était pas réellement visible, mais était perceptible pour quelqu’un d’attentif qui pourrait ainsi affirmer, sans pouvoir dire exactement d’où lui venait cette sensation, que ce jeune homme n’était pas à l’aise.

Il y eut un court silence, puis il ajouta :

« Je m’appelle Athanase. »

Athanase ? En entendant ce nom, mon sang ne fit qu'on tour. Mon coeur ce mis à battre très fort dans ma poitrine. D'une main tremblante et bleuie par le froid, je releva mes manches et scuta mes poignets. Ils étaient tout les deux recouverts de bijoux. Ce n'étais pas de ärms, seulement des bijoux fantaisies. Dessus étaient écrit des prénoms, plein de prénoms, un différent par gourmette.

"Alors voyons... Athanase... Non je ne l'ai pas celui là !"

Je releva la tête et examina en souriant le garçon qui me regardait avec des yeux ronds.

"Je collectionne les noms, j'aime bien ça. Mais je n'ai pas encore le vôtre, ça doit être un prénom très rare. En fait je ne l'avais encore jamais entendu."

Puis, me rendant compte que je m'emballais de manière inutile, je baissa là tête de nouveau en essayant de me contrôler. Mais je n'étais pas à l'aise et bafouillais comme un idiote.

"Euh et donc vous êtes le chef de la Cross Guard ? Vous êtes jeune pourtant..."

J'avais comme l'impressione de commettre gaffe sur gaffe, mais je ne pouvais plus m'arrêter de débiter des bêtises.

Le comportement imprévisible de la jeune fille face à lui désarçonnait complètement Athanase. Elle s’animait soudainement en entendant son nom, semblait chercher quelque chose parmi les innombrables bijoux pesant sur ses poignets … Le regard du jeune homme accrocha quelques lettres, quelques noms même, réalisa-t-il en observant avec plus d’attention. Des prénoms courants ou rares, tous différents … Elle n’avait pas de nom, avait-elle dit. Il lui semblait plutôt, à la voir ainsi, qu’elle en avait trop.

Elle releva les yeux vers le jeune homme, un grand sourire étalé sur son visage pâli par le froid, parlant de la rareté du prénom de son interlocuteur, plus que surpris. Voyant cela, elle parut d’un coup se troubler, chercher ses mots, ne plus savoir quoi dire … Elle dit tout de même quelque chose, pour se donner une contenance ? Mais cela parut la mettre encore plus mal à l’aise.

Athanase s’efforça de cesser de la dévisager en essayant de renouer le fil logique de la conversation. Il y en avait bien un, de cela il était à peu près certain, mais son esprit fatigué renâclait à le trouver. Il ne savait plus très bien ce qu’il devait comprendre ou dire, que penser, que répondre …

« Mon prénom … Mon prénom est assez rare, oui, bafouilla-t-il. Il signifie "immortel" dans une langue à présent éteinte … »

Il s’arrêta net. Il avait un très fort sentiment de déjà vu, comme s’il avait déjà vécu une scène similaire … Il ne parvenait pas à se rappeler qui avait bien pu lui expliquer l’origine de son prénom, et cela le troublait. Il lui semblait que c’était important …

Il entendait, comme en écho de ses paroles, résonner au fond de son âme quelques mots prononcés d’une voix vieillie par les outrages du temps … « Tu es Athanase, l’immortel, celui qui survit à tout … » Puis le souvenir s’éloigna, disparu, laissant derrière lui une sensation de malaise profond. Il avait l’impression d’être trahi par lui-même. Comme si sa mémoire savait des choses que lui ignorait, et lui cachait délibérément. C’était la première fois qu’il entendait cette voix, et pourtant … C’était impossible, puisqu’il s’en souvenait …

Il tenta de se reprendre, conscient de ce que son brusque silence pouvait paraître étrange.

« Oui, je suis le chef de la Cross Guard. Ce n’est pas que je l’aie voulu, au contraire … Mais j’ai le sentiment que je suis le seul à pouvoir le faire … »

Il eut un bref rire sans joie, accompagné d’un vague sourire légèrement cynique.

« Cela doit vous paraître prétentieux … »

Il baissa les yeux, mélancolique. Son visage exprimait une lassitude qu’il ne laissait d’habitude jamais paraître, mais qu’il ne pouvait plus contenir. Il n’avait pas voulu tout ce qui lui tombait dessus. Au fond de lui, il n’avait aucune envie de commander à quiconque, non seulement cela ne lui plaisait pas mais de plus cela allait à l’encontre de sa nature. C’était vraiment un effort de chaque instant que de garder la tête haute, de ne pas montrer sa peur et ses incertitudes, de tenter d’imposer son point de vue à des personnes qui le méprisaient ou le dédaignaient … Mais il était convaincu que, sans lui, la cohésion de la Cross Guard ne serait qu’un rêve lointain, impossible à mettre en œuvre … Chacun ici ou presque semblait poursuivre un but qui lui était propre, pas nécessairement intéressé par la raison de l’existence de l’organisation auquel il s’était lié : combattre l’Échiquier pour protéger ceux qui n’avaient pas la force de se protéger eux-mêmes. Athanase s’efforçait de toute son âme de maintenir cette vision, cette raison d’être. Mais parfois il était presque tenté de tout laisser tomber … Presque seulement, car il ne pouvait pas abandonner. Il en était incapable.

"Non pas du tout !"

Je me suis soudain mise à m'exclamer, puis à rougir. Je lui avais pratiquement crié dans l'oreille. Je continua de m'emporter, mais cette fois-ci, un ton en dessous.

"Je ne te trouve pas prétentieux du tout, au contraire. Je pense que si tu trouves que tu es le plus qualifié, c'est que tu dois l'être. Je ne sais pas si j'ai raison ou pas, mais je sens que ce que tu dit est vrai. Je te fais confiance malgrès moi, alors que je te connais à peine. C'est fou non ?"

Je cessa de parler, j'étais à présent bien trop proche de lui et cette distance me dérangeai. Je détourna la tête et fixa mon attention sur une des mes gourmettes. Je le tutotais, chose vraiment très étrange. Ca m'était venu tout seul, comme ça, au fil de la conversation.

"C'est amusant, tu me rapelles quelqu'un que j'ai connu autrefois. Lui aussi était immortel..."

Je caressais doucement de la pulpe du pouce, mon pendantif portant le blason de la Cross. Il était tout ce qui me restait de lui. J'y tenais comme à la prunelle des mes yeux, voir plus encore.

"Je crois que c'est cette ressemblance qui fait que tu m'inspire autans confiance Athanase. Quand je te vois j'ai l'impression de l'avoir devant moi, et ça me fait de bien."

Non ? Elle ne le trouvait pas prétentieux … Au contraire, elle paraissait le soutenir … Alors qu’elle ne le connaissait même pas … Athanase rougit légèrement, à la fois gêné et touché par cette confiance si subite, et si imméritée … Bien sûr il était heureux que quelqu’un croit en lui, mais il ne pensait vraiment pas en être digne. Lui qui était si faible, quel orgueil que de se croire supérieur aux autres sur ce point ! Il regrettait déjà ses paroles, mais devait admettre, à son grand désespoir, qu’elles reflétaient le fond de sa pensée à l’instant où il les avait prononcées. Loin de le déculpabiliser, la réponse de Nobody le confortait dans sa honte.

La jeune fille était toute proche de lui ; elle s’était approchée sans que ni l’un ni l’autre n’y prenne garde, mais quand elle en prit soudain conscience sa gêne fut perçue par Athanase, qui détourna le regard à l’instant exact où elle en faisait de même. Nobody regardait ses gourmettes, le jeune homme jouait machinalement avec la chaîne de Tinúviel, sans s’en rendre compte, comme à chaque fois qu’il était gêné.

Nobody rompit le silence, parlant d’un souvenir. Comparant Athanase à un souvenir. Le jeune homme songea qu’il ne serait jamais à la hauteur de ce spectre avec qui on lui trouvait des ressemblances. Jamais on ne peut arriver à la cheville du passé.

« Vous savez, je ne suis pas vraiment immortel … Ce nom n’est qu’un mot creux, et vide de sens … »

Mal à l’aise … Il ne savait plus très bien ce qu’il disait. Est-ce qu’il pensait vraiment cela ? Il n’était pas plus immortel qu’un autre, bien évidemment, et de cela il en était certain, mais il sentait confusément qu’un nom n’était jamais tout à fait vide de sens. Quel pouvait donc être le sens du sien ? Sans savoir pourquoi, il avait le cœur serré. L’impression que quelque chose de douloureux était lié à ce nom ne le quittait pas, il ne parvenait pas à s’en défaire, et pourtant, aucune raison … Athanase … Immortel ? Pourquoi ses parents l’avaient-il baptisé ainsi ?

Il se secoua mentalement. Quelle question sans importance ! Pourquoi songeait-il à cela ? Nobody l’avait touché plus qu’il ne le croyait, avec ses noms par dizaines, et l’importance qu’elle semblait y attacher.

« Vous … vous semblez m’avoir en haute estime. Je ne voudrais pas vous décevoir, mais s’il-vous-plaît, ne me regardez pas à travers le masque de vos souvenirs, je n’en vaux pas la peine … Je m’en voudrais de les rabaisser autant, alors qu’ils paraissent être si importants pour vous. »

Il baissa à nouveau le regard, perdu dans sa tristesse. Un silence sembla vouloir s’installer, mais il le rompit tout à coup, paraissant émerger d’un gouffre.

« Mais je suis désolé, je vous parle et je ne songe même pas à vous faire entrer ! Venez donc. »

Il s’effaça devant elle, lui tenant le battant pour la laisser passer.

Il n’avait plus cet air pathétique qui avait pesé sur son regard tout au long de la conversation. À nouveau, il jouait un rôle, celui de chef, de jeune homme fort et sûr de lui … Ce rôle qu’il n’aurait jamais du quitter, ce rôle qu’il abhorrait mais qui était le sien, contre sa volonté …Il combattait une fois de plus cette faiblesse qui l’habitait mais qu’il devait cacher. Il était encore rongé par une douleur immense dont il ignorait la provenance, qui le suivait tout au long des jours, depuis si longtemps … Mais personne n’en devait rien savoir. Il devait être fort … Être fort … Être …Ne plus être lui-même. Jouer ce rôle en permanence … S’il avait su que c’était si dur … Non, cela n’aurait rien changé.

Il regarda Nobody, Nobody qui lui faisait confiance, si étrangement …

* Merci … Merci de croire en moi, quand moi-même je n’y crois plus … *

Un nom creux que le sien ? Vide se de sens ? J'était profondément outrée, je senti soudain une boule de sanglots se former dans ma gorge. Ma voix était à présent faible et tremblante, complètement étouffée par les soupirs de mon coeur.

"Comment oses tu me dire une chose pareil ? Comment oses tu te plaindre de la signification de ton prénom, pourtant si magnifique, alors que moi je n'en ai même pas !"

Je me retenai, il ne fallait pas que je pleure, il fallait que je tienne.

"Je trouve que tu lui ressemble, non pas physiquement car il était bien plus âgé que toi, mais sur le plan caractériel tu passerais pour son double. Tu te dévalorises en permance. Et tu trembles derrière un masque de force. Tu vas peut être te fâcher, mais je ressent l'obligation de te dire ce que je pense. Tu es aussi égoïste que lui et ne pense pas à moi. Regarde le, il m'a laissé seule. Il est mort pour me sauver. Tu dois me trouver ingrate de parler ainsi d'un héros, mais regarde moi ! Quel avenir ai-je sans lui ? Aucun. Je n'ai ni nom ni famille."

J'allai pleurer. Je me tus pour cacher ma voix qui devenait amèrement larmoyante. Je regardai le sol quand soudain un idée bizarre me traversa l'esprit.
Ce garçon, je venai à peine de le rencontrer. Qu'est ce qui me prenait de me mettre à lui parler de ça ? Et de cette façon en plus ?

Je ne comprend pas.
Mais c'est vrai qu'il lui ressemble beaucoup.

Il brisa le silence en m'ouvrant la porte. Gentil et aimable Athanase, je n'aime pas quand tu prend cet air qui ne te va pas. Je n'aime pas quand tu ment. Je déteste les menteurs.

Moi aussi je me ressaisi, ferma les yeux et me donna un air légèrement supérieur.

"Très bien entrons. Au fait j'ai une faveur à te demander. S'il te plait, entraine moi à utiliser un ärm. Ainsi je me sentirai digne d'entrer à la Cross Guard."

Je t'en pris ne fais pas comme lui, ne me laisse pas. S'il te plait. Rendons nous forts, ainsi nous resterons immortels.

J'avais tellement peur qu'il me refuse cette demande.
J'avais tellement peur qu'il refuse de m'offrir cette immortalité et cette force que j'aimais à contempler dans son regard.

La jeune fille avait mal interprété ses propos, et paraissait souffrir de ce qu’elle avait compris. Athanase aurait voulu lui expliquer qu’il ne se plaignait pas de la signification de son nom, qu’il pensait juste que ce n’était qu’un ornement qu’il ne fallait surtout pas prendre au pied de la lettre … Mais il n’en eu pas le temps, Nobody enchaînant sans le laisser parler.

Elle semblait si triste … Et elle l’attaquait, lui envoyait au visage ses quatre vérités. Elle avait étonnamment bien perçu certaines choses qu’il essayait de cacher, mais quand elle le traita d’égoïste, il accusa le coup en silence. Pas un mot, pas un geste, pas même un changement dans son regard. Mais au fond de lui, quel abîme de souffrance. Il ne vivait que pour les autres, se battait pour les autres, souffrait pour eux, par eux aussi parfois … Ce n’était pas pour lui qu’il faisait tous ces efforts, alors … Égoïste ?

Il ne songea pas un instant que la jeune fille se trompait sur son compte, ou qu’elle disait n’importe quoi pour le blesser, sous le coup de la colère. Il lui faisait confiance, lui aussi, et cette assertion, prononcée telle une sentence, le plongeait dans une douleur profonde, parce qu’il la croyait quand elle lui disait cela. Égoïste. C’était donc ce qu’il était.

Un degré de plus dans les ténèbres de la douleur.

Il souffrait. Comme toujours. Comme toujours il se refusait à le laisser paraître, et pourtant … Comme toujours il se comportait comme si tout allait bien, et pourtant … Et pourtant oui ! il avait mal, à en crever ! Mais jamais il ne pourrait abandonner qui que ce soit, alors il prenait sur lui, encore et toujours ! Encore …

Les deux jeunes gens entrèrent dans le hall de la caserne, Nobody lui demandant une faveur. L’entraîner ? Pour se sentir digne de la Cross ?

Au fin fond des ténèbres où il était plongé, Athanase sentit comme un vague espoir. Au moins, elle prenait son engagement au sérieux. Elle savait ce que cela représentait, et ferait des efforts pour être à la hauteur. C’était déjà ça. Elle serait sans doute plus digne que lui de faire partie de la Cross Guard, d’ailleurs … Car après tout, elle avait sans doute raison … Ne faisait-il pas tout cela par pur égoïsme ?

Il tenta de chasser ces réflexions de son esprit, et lui répondit sur ce ton neutre qu’il prenait souvent pour cacher ses sentiments.

« Vous entraîner ? Bien sûr, je vais faire mon possible pour vous aider. »

Son possible, oui, faire son possible, le peu qu’il pouvait plutôt … Comment pourrait-il l’aider à devenir forte quand lui était si faible ? Il s’en voulait de ne pas être à la hauteur. Il aurait vraiment voulu pouvoir lui être utile, mais non, il le sentait déjà, il ne serait qu’un poids, un fardeau … Elle s’entraînerait avec lui, une fois, deux fois peut-être, puis chercherait un autre partenaire … Discrètement sans doute, car malgré son éclat de tout à l’heure, elle paraissait douce et gentille, et ne voudrait pas le vexer. Mais au final, le résultat serait le même. Elle serait déçue de ne pas retrouver en lui la force de ses souvenirs.

Encore plus que d’habitude, Athanase ressentait sur ses épaules le poids de la douleur qui l’habitait. Le poids de ses mensonges également. Il était fatigué, si fatigué … Épuisé de tout ce jeu ridicule, épuisé de ce jeu stupide ! Mais cela n’était ni ridicule, ni stupide … Hélas … Cette mascarade était nécessaire. Il n’avait pas le choix. Qui suivrait un chef faible et hésitant ? Déjà si peu de monde le suivait vraiment … Ils avançaient dans la même direction, tout au plus … Mais s’il prenait une décision qui ne leur convenait pas, combien l’abandonnerait ? Bien trop encore … Il devait résister, tenir, garder le masque, sauver les apparences ! Il ne pouvait se permettre de craquer, car des vies étaient en jeu, des vies menacées qui ne seraient sauvées que par la Cross Guard.

La gorge nouée, Athanase n’essayait même plus de parler, incapable de prononcer un mot. Parfaitement conscient des enjeux. Conscient de ses responsabilités. Prêt à les assumer, même s’il devait en mourir.

Il acceptait.
Je senti ma bouche s'élargir, probablement d'une oreille à l'autre. J'esseyais néanmoins de me contenir. Mais c'était dur de cacher sa joie.
J'y arrivai ? Aucune idée. ^^'
Mais j'étais heureuse comme pas possible. C'était bizarre comme idée. Je me sentai bien, j'avais comme un petit soleil tout chaud au fond de mon estomac.
Il était d'accord pour me consacrer un peu de son temps pourtant si précieux.
Une pensée me fit tomber de mon nuage. Si ça ce trouve, des propositions comme celle-là il en reçevait peut être tout les jours ? Il était le chef, soit probablement le membre le plus puissant de la Cross. Il devait y avoir plein de gens qui le demandaient tout le temps.

Il m'acceptait peut être près de lui comme il le faisait avec n'importe qui...

Mon soleil s'éteignit, laissant place à la nuit froide de tourment.

Athanase, gentil Athanase, dit moi que je ne suis pas n'importe qui. Dit moi que je suis quelqu'un, pour toi j'aimerai ne plus être personne.

"Euh... je peux te demander autre chose ? Voilà et bien... je n'aime pas quand tu me vouvoye (ça s'écrit comme ça ? ) je trouve que ça met une barrière. Qu'on se cache derrière un mur de politesse..."

Mais qu'est ce qui me prenais de lui dire ça ? C'était mon chef maintenent, je n'avais pas le droit de dire ça. Il fallai que je me taise à tout prix.

"Mais euh... après tout vous êtes mon supérieur, alors si vous préférez... non laissez tomber ce que je viens de dire... je ne savais pas ce que je disai..."

Je bafouillai et avai le rouge qui me montait aux joues. Je me sentais vraiment génée, voir même très très conne en ce instant.

"Veuillez pardonner mon insolence..."

Athanase gardait les yeux baissés, plongé dans un abîme de douleur. Il ne laissait rien paraître, ou du moins presque rien, un peu d’abattement peut-être ? Mais toujours est-il qu’il ne put voir le sourire de pure joie de Nobody, sourire vite réprimé d’ailleurs … Il essayait de toutes ses forces de se sortir de ce gouffre amer, de maîtriser un peu sa souffrance, comme il le faisait en permanence, mais non. Rien à faire, il n’y arrivait pas. Que lui arrivait-il ? Il avait la gorge nouée, et le cœur serré, au sens propre … Il avait l’impression que quelque chose enserrait son cœur et se refermait sur lui, l’étouffant peu à peu. Il avait même du mal à respirer.

La voix de Nobody le tira violemment de sa torpeur. Il releva la tête, perdu, retrouvant ses repères au bout de quelques longues secondes. Il avait tellement de mal à se concentrer à nouveau sur ce qu’il se passait juste là, devant lui, que Nobody interpréta mal son long silence … Il se fit violence pour se ressaisir et tirer de sa gorge récalcitrante une voix à peu près normale. Juste un tout petit peu trop aiguë, peut-être ? Ou un peu trop crispée ? Difficile à dire, surtout pour la jeune fille qui ne le connaissait que depuis si peu de temps.

« Je … Non, vous … tu n’es pas insolente ! Tu as raison de demander cela, si tu préfères que je te tutoie ! Je … je suis désolé de … »

Il déglutit et reprit péniblement une inspiration.

« Vous pouvez continuer à me tutoyer si vous le souhaitez … Euh, pardon, tu … »

Le jeune homme rougit et détourna les yeux. Mais très vite ses joues redevinrent aussi pâles qu’à l’accoutumée, plus, même. Il porta la main à son front glacé, respirant amplement dans une tentative de faire passer le vertige qui le saisissait. Peine perdue. Il vacilla légèrement, et s’appuya sur le mur pour ne pas tomber. Il se sentait si faible soudain … Non … Pas maintenant … Pas devant elle … Non …

Il se redressa du mieux qu’il pouvait. Faisait-il illusion ? Pas sûr … Sa respiration oppressée et son regard un peu trop vague le trahissaient sans doute …

« Moi aussi je voudrais vous … te demander quelque chose … V… Euh … Tu voulais que je te donne un nom, je crois ? Est-ce que Rigel te conviendrait ? C’est le nom d’une étoile … »

Il ne savait plus très bien ce qu’il disait. Pourquoi lui dire ça ? Il n’avait pas voulu lui dire qu’elle allumait une petite lueur dans la nuit de son cœur, comme une étoile brillant au firmament … Mais c’est pourtant ce qu’il avait avoué, de manière indirecte … Alors quoi ?

C’était vrai qu’en la rencontrant, il reprenait un peu espoir … Enfin il rencontrait quelqu’un qui lui paraissait sincère dans sa volonté d’aider les autres, enfin quelqu’un qui n’agissait pas par pur égoïsme … Non pas qu’il pense que tous à la caserne fussent comme cela, mais … Parfois … On pouvait en douter. Tandis qu’elle, non, pas de ça, pas de doute. Il lui faisait pleinement confiance, alors même qu’il ne la connaissait pas. Peut-être parce que quelque part, inconsciemment, il avait l’impression qu’elle le comprenait, qu’elle était un peu comme lui ?...

Toujours est-il qu’il aurait regretté ses paroles, s’il avait été en état de le faire. Mais il n’avait qu’à peine assez de forces pour rester debout face à Nobody, sans trembler … Un froid intense le saisissait, dont il ne comprenait pas la provenance … Il n’était même plus en état de se demander s’il était malade, ou s’il fallait chercher ailleurs la cause de cette faiblesse qu’il refusait de montrer. Il avait peur de décevoir la jeune fille, elle qui semblait ne pouvoir s’empêcher de le comparer à un autre, plus fort que lui, et dont il ne voulait pas ternir le souvenir. Il faisait tout son possible pour dissimuler le vertige qui le saisissait, mais si Nobody lui parlait il n’était pas certain qu’il puisse lui répondre encore …

"Athanase ? Athanase qu'est ce qu'il t'arrive ?!"

Il s'appuya contre le mur, mais je voyais bien qu'il chancelait Il avait l'air profondément mal et cherchait encore à me le cacher. Mon coeur se mit à battre plus vite. Athanase allait mal. Il était peut être malade ? Blessé ? Les deux ! @___@ Mon dieu qu'est ce qu'il fallait que je fasse !!
Je posa ma main sur son front. Ce premier contact me donna la chair de poule, mais ce n'était pas le moment de penser à ça. Il n'avait pas fièvre, au contraire il était froid, glacé.

Il commençait à perdre des couleurs et à devenir aussi blanc qu'un linceul.

Et merde ! Il allait me clamser entre les doigts.

"Athanase, ressaisis toi ! Et arrête de faire semblant que tout va bien, je vois au contraire que ce n'est pas vrai du tout. Je tolère encore que tu me prenne pour une imbécile, mais pas que tu me mente. Je vois parfaitement que ça ne va pas et..."

Il me coupa la parole. Il me parla d'autre chose. D'un nom, d'une étoile, du nom d'une étoile.

Rigel.

J'avais le souffle coupé. Il voulait me donner un nom. Un nom si beau qui plus est.

Un nom qu'il avait choisit, pour moi.

C'était ce à quoi je ne m'attendait plus, et ce depuis des années. Jamais je n'aurai pensée ne plus être quelqu'un invisible.

Athanase ne voulait plus que je sois personne.
Athanase voulait que je sois quelqu'un.
Athanase voulait que je sois une étoile.

"Oui..." dit-je faiblement. "Oui tout ce que tu voudras. Pour toi je serai tout ce que tu voudras, parce que tu m'as donné un nom, un identité rien que pour moi. Merci Athan... Athanase ? Athanase !!"

Il tomba dans mes bras.
Il venait se s'évanouir.
Je le soutenai tant bien que mal, le serrant tant bien que mal contre moi, de peur qu'il s'en échappe.

"Au secours, à l'aide ! Il y a quelqu'un ! Par pitié que quelqu'un m'aide à l'emener à l'infirmerie ! Par pitié !"

Personne, le vent le silence et le vide.
Ce vide horrible auquel je n'appartenai plus désormais.
J'avais beau hurler à plein poumon, personne ne me répondait.

"A l'aide ! Aidez moi ! Aidez le, c'est votre chef ! Que quelqu'un appelle l'infirmier... Athanase se sent mal !"

Je le serrai de plus en plus fort contre con coeur, cherchant par tout moyen à percevoir les battements du sien.
Je me mis à pleurer, plongée dans une souffrance et une détresse infinie.

C'était ça le prix à payer pour un nom ? Mon dieu qu'elle horreur, et dire que j'avais tant souhaitée qu'il me nomme.

J'avais tuée Athanase en échange d'un nom

Hein ? Qu'est-ce donc ? Que se tramait-il ? Et sabre de bois de produit mixte, ça avait tout l'air d'être un appel à l'aide en bonne et due forme. Tel était l'inconvénient majeur lorsque on venait chercher le soutien de la Cross Guard, devoir porter assistance à autrui, au dernier des autrui infoutu de se débrouiller à la moindre péripétie pas annoncée par la météo. Quel était cette fois le bachi-bouzouk hurleur qui s'époumonait comme si on agonisait devant lui ? Il y a vraiment des gens à qui il faudrait apprendre les mots "sang-froid" et "réflexion déductive". Ca éviterait quatre-vingt quinze pour cent des situations de cette espèce. Mais tant, pis, la plomberie attendrait, ou elle serait ultérieurement refaite par le bisenestromanuel responsable de ce carnage qui avait calfaté la tuyauterie avec un produit ayant l'étanchéité apparente d'un cirage à godasses.

Steve emmancha sa plaque d'égout à ressort son bâton sauteur de choc et sauta du rempart extérieur (oui, il y a des toilettes à tous les étages, c'est moderne quoi qu'on en dise... du moins depuis l'arrivée du Geek Fou) puis avisa aussi brièvement que lui permettait la compression instantanée de son encéphale la situation aussi présente qu'alarmante.

*Aïe. Le chef fait une méchante syncope et personne s'en rend compte, sauf cette gamine que j'ai jamais vue, et qui est en passe de se faire broyer par le précédent à tenter ainsi de le maintenir debout à tout prix. Une intervention urgentissime s'impose si on veut en sauver quelque chose. (où est le scalpel ?)*

Nobody s'était subitement tue lorsque le démentiel bruit de compaction du ressort avait retenti, et n'esquissa pas un geste lorsque Steve la soulagea de son fardeau pour le déposer au sol aussi délicatement que possible, compte tenu du poids de la bête. Evitant de justesse de lui asseoir le crâne sur un caillou pointu, il lui tâta le pouls, les cervicales, la conicité des oreilles et une poignée d'autres excroissances faciales pas forcément d'un grand intérêt médical, puis émit son diagnostic d'un ton aussi neutre que possible.

[Je te laisse la main, Athy : désires-tu t'en sortir pour le compte ou te payer une scène tragique entre les bras de la damoiselle ?]

Nobody avait vu sa faiblesse, il avait échoué à lui dissimuler … Il s’en voulait horriblement, et continuait malgré tout à feindre que cela n’était rien. Il lui parla alors de son nom, sans vraiment l’avoir voulu … Encore quelque chose qu’il aurait voulu garder pour lui, mais après tout c’était sans doute mieux ainsi : la lueur de bonheur dans le regard de la jeune fille lui réchauffa le cœur, vraiment, plus qu’il ne l’aurait cru possible. Il était toujours gelé et faible, mais il était heureux de la joie de Nobody ... Non, de la joie de Rigel.

Il ébaucha un sourire, mais ses dernières forces l’abandonnèrent. Ses yeux se fermèrent, et il sentit ses jambes se dérober sous lui, impuissant, encore conscient malgré tout. Il s’attendait à un choc sur le sol dur et froid, mais non. Rigel l’avait retenu ? Oui, il entendait sa voix, sans comprendre ses paroles, il sentait la chaleur de son corps, ses bras qui le soutenait … Il essaya de reprendre ses esprits, mais ce n’était plus possible, et il sombra dans l’inconscience.

Quand il reprit connaissance, il était allongé par terre. Il rouvrit péniblement les yeux, pour apercevoir Steve et Rigel penchés sur lui. Steve avait un air aussi indéchiffrable qu’à l’accoutumée, avec tout ce qui lui cachait plus ou moins le visage, mais Rigel, elle, avait l’air bouleversée. Elle … Elle pleurait ?

Il l’avait fait souffrir. Une fois de plus il se haïssait de ne pouvoir être à la hauteur, de n’avoir pu lui épargner cela. Il avait mal, mais mal ! psychologiquement, rien que de penser qu’il avait fait souffrir autrui … Et surtout elle …

Dans un effort de ne pas aggraver son inquiétude, il tenta de se redresser … pour retomber aussitôt. Il respirait à fond, essayant de calmer ses tremblements, même si c’était peine perdue. Il fit un pâle sourire aux deux personnes à son chevet.

« Je … je vais bien … » murmura-t-il faiblement, dans une tentative de se montrer rassurant.

Il parvint enfin à s’asseoir. Il regarda Steve et Rigel, puis baissa les yeux, rougissant de les avoir dérangé. Il n’en valait pas la peine ... Il croisa ses bras sur sa poitrine, comme pour se réchauffer, mais en vérité ce n’était pas vraiment le froid qu’il combattait mais la violence des tremblements de tout son corps … Il avait manifestement besoin de repos, et même lui, qui refusait toujours d’écouter les besoins de son corps face à ce qu’il considérait comme son devoir, l’admettait pour une fois.

« Je … suis vraiment désolé de … de vous déranger … Je vais mieux maintenant, ça va aller … »

Sa voix était un peu plus forte, mais visiblement il mentait encore. Mais il ne pouvait pas s’en empêcher, il fallait qu’il s’inquiète plus pour les autres que pour lui, même dans cette situation.

Il ne savait plus quoi dire, quoi faire … Seulement attendre que ça passe, en espérant que cela allait effectivement passer … Prier pour que les autres ne s’inquiètent pas …

C’est alors seulement qu’il réalisa vraiment. Rigel s’inquiétait pour lui. Elle en pleurait même. À la fois cela lui faisait mal, car il détestait faire souffrir les gens, mais étrangement … Cela allumait en lui comme une petite lueur, qui réchauffait légèrement son corps glacé.

L'homme bizarre est revenu. Je ne connais pas son nom alors je l'appelle comme ça. Vous savez, celui qui a des grosses lunettes vertes fluo. Jamais je n'avais été aussi heureuse de le voir. Il avait répondu à mon appel désespéré. Il allait sauver Athanase.
Je retrouvais espoir.

Sans dire un mot il l'arracha à mon étreinte et le coucha sur le sol. Je regardai la scène ébêtée, en esseyant d'arrêter de pleurer et en conservant mon calme. Cet homme tenait entre ses mains tout ceux en quoi je tenais le plus au monde.
Il le tâta un peu partout, avait un air purement professionnel. Il était peut être médecin.

Athanase se réveilla, il était toujours aussi pâle, mais au moins il était conscient. Il esseya de bafouiller des bêtises comme quoi il nous dérangeait et qu'il allait parfaitement bien, mais je l'interrompit en posant mon doigt sur ses lèvres.
Je me tourna vers l'homme qui l'avait sauvé.

"Qu'est ce qui lui est arrivé ? Je ne comprend pas, il était bien il y a à peine dix minutes. En tout cas je vous remerci du fond du coeur monsieur... euh..."

Athanase grelottait, assis par terre face aux deux soldats. Rigel lui avait coupé la parole, mais elle l’avait fait d’une telle façon … Loin de lui paraître malpoli, cela l’avait troublé … Le jeune homme rougissait, mais il était déjà si pâle que cela n’avait pour effet que de ramener un peu de couleur sur son visage fatigué. Il ne parvenait pas à comprendre pourquoi ce simple geste le perturbait comme cela … Était-il tout simplement si épuisé que toute émotion était démultipliée ?

Il écoutait Steve tenir son inquiétant discours. Il se sentait un peu mieux, mais son esprit n’était pas éveillé au point de comprendre tout ce charabia plus ou moins ésotérique, et tout ce qu’il saisissait c’est que cela ne devait pas être très rassurant, au vu de l’air inquiet de Rigel. Mais pourtant le geek fou lui semblait -pour autant qu’il puisse en juger après les déformations dues à Ivan- prendre un ton qui se voulait rassurant. Ou alors c’était son esprit qui lui jouait des tours, ce qui n’était pas non plus impossible vu son état …

Athanase fit un effort pour se redresser. Il parvint à se relever, légèrement chancelant mais capable de tenir debout sans aide.

Il tremblait toujours, mais beaucoup moins violemment. Il avait un peu le vertige, mais ça, pas question de le laisser paraître ! Il avait déjà suffisamment inquiété les autres pour aujourd’hui, et même pour un mois entier, pour ce qui était de son opinion personnelle. Il tenta un sourire qui devait malheureusement faire plus pitié que rassurer, mais c’était déjà un effort …

« Vous voyez, je vais vraiment mieux … »

Mais disant cela il chancela, et se rattrapa à l’épaule de Rigel. Qu’il lâcha aussitôt, rougissant.

« Je … Je crois que je vais aller me reposer … » bafouilla-t-il. « Merci pour votre aide … Et bienvenue à la Cross Guard, Rigel. »

Il se sentait horriblement faible et inutile. Il avait la sensation d’être parfaitement ridicule, et de n’attirer que pitié, voire mépris, de la part de ceux qui le voyaient ainsi. Et cela lui faisait peur. Il tenait à ces gens, même s’il ne les connaissait qu’à peine. Il ne voulait pas les décevoir … Mais c’était pourtant ce qu’il faisait.

Il baissa les yeux, à la fois par gêne et pour ne pas que Steve et Rigel y voient la tristesse qu’il se savait incapable de dissimuler dans son état de fatigue, et fit quelques pas vers l’escalier qui montait vers les chambres. Il avait tout échoué. Ce qu’il voulait à tout prix cacher, cette faiblesse, cette fatigue immense qui l’habitait, avait éclaté au grand jour. Et alors même qu’il faisait tant d’efforts pour l’en empêcher … Au fond de lui, une petite lueur s’éteignit. Il avait le sentiment d’avoir déjà perdu Rigel, avant même de l’avoir vraiment connue …

Je le regarda se relever, il chancellait. Mais au moins il était debout.

Je me tourna vers l'inquiétant personage et m'inclina, pleine de respect.

"Je vous remerci pour ce que vous avec fait monsieur Jollmer. J'ai à présent une dette envers vous et reste votre obligée. Merci de tout coeur."

Puis j'alla aider Athanase à tenir debout. Un instant il s'appuya sur mon épaule, puis géné, me lâcha. Agacée par ce comprotement que je jugeais comme infantil, je pris son bras de force et le posa sur mon épaule.

"Je peux t'aider à rentrer ?"

J'esseyais de sourire, mais c'était dur. Il avait l'air tellement loin de moi.

Puis il m'appella Rigel.

Je sourie pour de vrai.

Loin de le mépriser pour sa faiblesse comme il s’y attendait, Rigel voulait l’aider. De gré ou de force, même. Athanase rougit pour de bon, souhaitant de tout cœur que la jeune fille ne s’en aperçoive pas, pas plus que le "médecin" ( ?) qui l’avait aidée. Mais il avait bien besoin de cette aide, même s’il ne se l’avouait pas à lui-même, refusant d’admettre qu’il n’aurait pas été capable de retourner seul à sa chambre. De toutes façons, il ne pouvait pas refuser cette aide, sous peine de vexer gravement la jeune fille … Et le fait de savoir que, malgré tout, elle continuait à s’inquiéter pour lui, au lieu de se détourner loin d’un être si faible, et bien ce savoir lui procurait un sentiment partagé de honte et de joie. Honte d’être un tel fardeau. Mais joie que l’on tienne à lui, et même plus : que l’on tienne à ce qu’il était, et non à une image qu’il s’était construit pour se cacher.

« Merci … » murmura-t-il.

*Merci de ne pas m’abandonner … Et pourtant je le mérite tant …*

Athanase essayait de ne pas s’appuyer trop fortement sur Rigel, mais par moments il se sentait prêt de choir, et sans le soutien de la jeune fille il se serrait probablement effondré. Elle était si forte ! Il sentait cette force près de lui, sans réaliser qu’elle se faisait protectrice … Lui qui passait son temps à aider les autres, sans forcément qu’ils ne s’en rendent compte d’ailleurs, à son tour il restait aveugle.

À nouveau, il ressentait comme un pincement étrange au fond de son cœur … Mais il ne comprenait pas d’où cela pouvait bien provenir. Il espérait seulement que cela n’était pas grave … En tous cas, le phénomène était plus faible que la première fois. Oui, c’était à peu près certain, il pourrait garder cela pour lui. Souffrir en silence, en somme … Sauf que ce n’était pas à proprement parler une souffrance. C’était désagréable sans véritablement être douloureux, quelque chose de finalement assez indéfinissable …

Et la proximité de Rigel le troublait. Était-ce simplement le fait que quelqu’un le soutienne ainsi, ou cela était-il plus … personnel ? Difficile à dire … Mais lui ne s’interrogeait pas, ne songeant même pas qu’il pouvait y avoir là sujet à interrogation ; il se contentait de cacher du mieux qu’il pouvait la gêne qui le rendait muet …