ACTE III
Scène 6
Décor neutre, aucun éclairage. Silence. Au bout d'un moment, Pandore apparaît côté cour, s'avance jusqu'au centre de la scène et commence à inspecter son environnement. L'intensité lumineuse de la poursuite pointée vers lui augmente lentement. Le reste de la scène reste obscur.PANDORE
, pour lui-même. - Minuit ... et pas un son dans la forteresse de Luberia.
Silence. Pandore se tourne vers le public.
Il y a quelques minutes, je me suis réveillé dans ma chambre, au plus profond de Castel Maya, sans savoir ce qui m'avait tiré du repos. J'ai, longtemps, essayé de me rendormir ... En vain. Pour la première fois depuis bien longtemps, l'atmosphère du Castel, ses chandeliers de cristal, ses ornements de bois recouverts d'or, m'oppressaient. Alors j'ai décidé qu'une petite promenade nocturne s'imposait !
Pandore rit. Jusqu'à la fin de l'acte, et sauf contre-indication, le rire de Pandore devra être bref et joyeux.
Je me suis rapidement habillé, je suis sorti du monde des candélabres, et me voici, arpentant les corridors comme le fantôme d'un voleur. Peut-être en suis-je un ?
Pandore rit, puis devient grave.
Je n'aurais jamais imaginé que le quartier général d'une aussi grande organisation que la mienne puisse être si désert la nuit ... Pourtant, si j'y avais pensé plus tôt cela me serait apparu comme parfaitement naturel : à cette heure-ci, les voleurs dorment, ou rôdent dans les ruelles de Sakara pour commettre quelque forfait. Aucun tire-laine ne reste dans les corridors de la citadelle à vagabonder sans rime ni raison. À croire que je ne suis pas un vrai voleur !
Pandore rit. Silence.
Ce silence a quelque chose de lugubre. Ces couloirs étaient si sonores le jour, résonnant des pas d'innombrables larrons ! Les portes claquaient tant grande était la hâte de ceux qui voulaient s'en aller régler leurs tractations, quelles qu'elles eussent pu être. À présent, tout est immobile, au point que l'air lui-même semble avoir pris ses habitudes !
Pandore rit. Silence. Il fait quelques pas, regarde autour de lui, s'arrête.
Vraiment lugubre ...
Pandore marche lentement vers le bord du plateau. Si la salle le permet, il devra descendre de la scène sans briser la fluidité de sa démarche. Il traverse le public jusqu'au fond de la salle, puis revient, si possible par un chemin différent. La poursuite ne le suit que jusqu'au bord de la scène, puis reste en place. Pandore parle alors dans le noir, tout en marchant.
Je reconnais les portes, mais elles semblent différentes, à la lumière blafarde de la lune. De bleu, elles ont viré au ... bleu maya.
Pandore rit.
Tout ce qui avait de jour distingué ces passages, personnalisé ces seuils, se fond dans l'anonymat d'une porte brute de nuit. Plus d'inscriptions au canif, plus de pancartes, plus d'éraflures ... L'illusion s'installe d'être passé dans un autre univers pendant son sommeil ; un univers de corridors se déployant à l'infini, mais où tout ramènerait à une salle unique ... Ceci est pourtant bien la porte menant aux escaliers, puis de là aux étages ... Ceci est pourtant bien la porte du bureau de Silverwing Miyu, notre estimée chef.
Pandore s'immobilise.
Aussi vrai qu'elle est aveugle, je ne crois pas l'avoir déjà aperçue. On me l'a dite vêtue de robes noires à capuchon ... comme Philibert, comme M.Klappton. Aucune originalité ! Aucun goût ! Je n'ai jamais adhéré à cette mode.
Un silence.
Peut-être est-elle là, à cette heure-ci.
Un silence.
L'ambiance fantômale lui conviendrait à merveille !
Pandore rit.
Mais non, je suis seul ... D'où me vient alors ce sentiment étrange de regards posés sur moi, d'oreilles attentives à ma voix ?...
Un silence. Pandore reprend sa marche pendant quelques secondes, puis s'arrête à nouveau.
Ce couloir mène aux cuisines, je crois ... Je l'ai emprunté quand je me suis perdu, deux jours après mon arrivée ici. Oui, bon, ce genre de chose peut arriver à tout le monde, n'est-ce pas ?
Pandore rit.
C'est une petite pièce, pour une aussi grande forteresse. Alors qu'elle fut la source de chaque repas de chaque voleur depuis la naissance de la guilde, elle est à peine plus grande que la, euh, grande salle -quel nom banal, quand on y pense.
Silence.
Les enfilades de tables, et de placards garnis d'ustensiles, ne contredisent en rien cette impression première. Oui, la cuisine est petite, et mal éclairée. La cheminée qui occupe presque un quart de la salle devait sans doute arranger un peu la situation, du temps où, se tournant sur elle-même, on y faisait rôtir des veaux, ou des faisans. Ce n'est plus le cas désormais : la plupart des voleurs ne l'utilisent pas, ils préfèrent "se fournir directement chez le traiteur" ... Pourtant lorsque je m'y étais perdu une bonne âme avait nourri la cuisine récemment, car des victuailles pendaient aux crochets du plafond et se terraient dans les placards, s'offrant à l'affamé. Je me demande de qui il s'agissait ...
Silence.
Peut-être Asset. Je ne crois pas avoir jamais rencontré de voleur aussi vorace ! Surtout en matière de sucre !
Pandore rit. Silence.
Je n'ai pas faim. Je reviendrai à la cuisine une autre fois ... Une autre nuit peut-être ...
Silence. Pandore reprend sa marche. Il revient sur scène, où une porte avec son chambranle, fermée, a été installée pendant son voyage. La porte devra s'ouvrir vers le public. La poursuite, sans avoir bougé, devra éclairer la zone située juste devant la porte. Quand Pandore remonte sur scène, une faible lumière grise, diffuse, apparait peu à peu sur tout le plateau.
Oh ? Je ne crois pas être déjà passé par celle-là ...
Pandore passe derrière la porte, l'entrouvre, passe la tête par l'ouverture, puis ouvre la porte et l'emprunte tout à fait.
Hoho ! Il semblerait que la forteresse de Luberia nous cache bien des secrets ... J'ignorais que la grande salle avait une petite sœur.
Pandore rit, puis adopte un ton perplexe.
À quoi bon concevoir la réplique miniature d'une salle qui ne se distingue que par sa grandeur ? Un second salon ... Sans même le meuble bar qui aurait pu attirer quelque amateur, à ce que je vois. Des lattes de bois, une table de bois, des chaises de bois, de la poussière à foison, mais pas la moindre chair vivante ... Ou s'il y en avait elle est redevenue poussière depuis longtemps. Personne n'a fait le ménage ici depuis une éternité ... Il faut dire que vu le peu d'agréments que cette salle peut offrir, et l'absence totale de personnel non-voleur, personne ne s'est attelé à la tâche. À la refonte de la guilde, Silverwing elle-même devait passer le balai dans le vaste quartier général des voleurs, et les premiers inscrits n'eurent pour seule mission que de l'aider dans cette tâche. Tâche indispensable pour la vie communautaire, ceci dit ... Noble "tache", en quelque sorte !
Pandore rit.
Mais ici ...
Pandore soupire rêveusement.
Ici on pourrait croire que les balais, les meubles bar, Silverwing, les voleurs, Luberia, que le reste de Mär Heaven tout entier n'a existé que dans un rêve absurde, dont le souvenir s'effiloche avec le temps. Cette salle n'a jamais subi l'inondation qu'Abysse a répandu sur la moitié de la forteresse (ce jeune homme est un danger public !) ...
Pandore rit.
... jamais subi les extravagances de Messire Gemini et sa sœur, ou de Wailani (qu'est-il devenu, d'ailleurs ?), ou d'Elpi et du grand homme qui l'accompagne toujours, elle n'a jamais été frôlée par les capes de Silverwing, de ce pauvre Philibert ou de Messire Fayltrev. Elle n'a jamais pu voir notre infirmière, ou cette fille à demi féline disparue avant mon arrivée, comment s'appelait-elle déjà ?... Euh, à vrai dire, je n'ai jamais rencontré Mademoiselle Von Karma non plus ... avec cette pièce nous sommes au moins deux !
Pandore rit.
Table abandonnée, aimerais-tu rencontrer tous ces gens ? Les voir parler, les voir vivre, les voir pleurer, les voir rire ... Ne plus te fier à mon pauvre et imprécis témoignage ...
Même jeu.
... mais constater par toi-même ?
Silence.
Eh bien, sache que je ne considère pas cela possible, car tu n'es qu'une table, au fond.
Pandore rit.
Désolé, ne prend pas ça mal ! Après tout, être table n'est pas plus honteux qu'être ... humain, par exemple.
Songeur.
Nos perceptions sont juste différentes ... On doit voir le monde différemment, comme déformé par des sens qui, au fond, nous sont trompeurs ...
Un silence.
Cela dit, je préfère encore être moi qu'être une table !
Pandore rit. La poursuite, sans à-coup, se déplace pour venir former un rond de lumière blanche sur le mur faisant face à la scène.
Je vois par la fenêtre la lune qui détache sa silhouette claire du ciel d'ébène. Mais est-ce vraiment la lune que j'aperçois ici ? N'est-ce pas une illusion provoquée par mes yeux trompeurs ?
Un silence. Pandore va s'asseoir sur le rebord de la scène, face au public, le regard fixé sur la poursuite.
Non, non, c'est impossible, je reconnais ses formes familières. Ce disque pâle est bien l'astre des nuits, le seul à éclairer mes pas dans l'obscurité, quand la chandelle née de la maîtrise humaine du feu n'est plus que cire froide, plus que cendres. Dame Lune est ronde aujourd'hui ... Accouchera-t-elle d'un jour nouveau ?
Un silence. Des bruits de pas. Pandore se retourne, fixe un point situé en dehors de la scène.
Oh. C'est vous.
Il sourit.
Bonsoir.
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Sam 15 Nov 2008 - 17:53
