Les Ombres, boutique d'ärms

Fascinée, Cristal continua sur sa lancée :

" Vous savez, je rencontre rarement des gens partageant mon ... intérêt pour cette distraction, et je trouve enrichissant d'échanger nos idées ...Quelles sont donc vos techniques de tortures favorites ? "

* Quelqu'un qui aime comme moi la souffrance d'autrui ... J'apprécie cette rencontre, elle pourrait aboutir à tant de douleur ! Oui, tant de douleur ... Je ressens à nouveau ce besoin de faire souffrir ... Je dois trouver une proie ... Mais avant, entendre sa réponse ... *

Un frisson parcourut l'échine du Joker. Quand il reprit la parole, ses yeux semblaient avoir une pupille presque verticale. Il souriait avec des dents trop longues, et même ses cheveux avaient l'air plus sauvages, broussailleux.

" J'apprécie de dévorer mes victimes vivantes ... Mais je ne suis pas égoïste : je partage ce plat (il bave presque à l'évocation de ce souvenir) divin avec ma proie ; parfois même avec des convives de ses alliés, mais habituellement ils refusent ... Même avec de la sauce ...
Quand à moi, qui ne suis qu'un humble philosophe, j'avoue ne pas vraiment aimer la chair humaine. D'ailleurs je ne torture pas les créatures qui me servent de faire-valoir, je les aide à mettre fin à leurs jours, toutes seules elles manquent de cran. Ce faisant j'en profite bien sûr pour m'amuser ... trancher dans le vif, dans une gerbe de sang vermeille, ambroisie des dieux évoquant le couchant ... j'aime ça."

* : avant de penser à cette fille, on ferait pas mieux de penser à nous ?!? Les deux tueurs prennent l'ascendant sur moi !!!
: je réunis des forces pour vaincre Frédéric ...
: moi de même ... mais j'agis dans l'urgence ...*

Les yeux brillant d'une lueur malsaine, la respiration saccadée, Cristal souffla :

" Et si ... nous sortions ... chercher quelque proie ? Cette discussion ... J'ai envie ... besoin ... "

Elle se tourna brutalement vers la porte et tenta d'en actionner la poignée d'une main tremblante. Rencontrant une résistance qu'elle ne pouvait pas vaincre dans cet état, la jeune fille posa ses yeux brûlant sur le vendeur.

" Trouvez moi ... une victime ... ou alors ... ce sera vous ! "

Elle transperçait the Joker de son regard pesant, si lourd à supporter, portant le poids de tant de folie, cette folie qui transparaissait de plus en plus sous le vernis de raison qui la masquait habituellement ...

D'une détente prodigieuse, le Joker bondit vers la porte et réussit, lui, à l'ouvrir ; un instant plus tard, en plein milieu de la rue heureusement déserte, il fouille les environs du regard, en quête d'une victime ... Invitant tacitement Cristal à faire de même ...
En posture accroupie, feulant doucement entre ses dents trop longues, toute humanité semblait l'avoir déserté, ne laissant derrière elle que la soif de sang et la jubilation sadique pour se disputer le contrôle de son corps ...

Planqué derrière le comptoir, son double ruminait de sombres pensées.

* 2 : quand le Mal menace le monde de son obscure étreinte ...
Quand la Folie semble se répandre à travers les campagnes ...
Quand la Tyrannie exerce son pouvoir sur d'innocents martyrs ...
Pourquoi est-ce que c'est toujours moi qui me tappes le sale boulot ?!?!
2 : tais-toi et sort la ventouse anti-Diablo.
2 : tiens ça rime !
2 : en plus ... Ma cliente serait fichue d'en profiter pour partir sans payer !!!! Gnnaaaaaaaaahhhhh !!! (agite mentalement la ventouse anti-Diablo)
2 : ipse.

Sans même avoir le temps de découper quoi que ce soit à sa victime, Cristal se retrouva brusquement avec une ventouse collé en plein visage (?!). Un peu plus loin, son compagnon de chasse se tordait à terre en marmonnant quelque chose d'étouffé, et essayait désespéremment de détacher sa sienne ventouse.

Le Joker possédé par Schopi, profitant de la soif de sang frénétique de chacun, s'était glissé à l'extérieur sans s'en aperçevoir et avait maitrisé les deux tuers fous !!!! Hourra !!! Vive Schopenhauer !!!!

*{?} : hého, là, tu te calmes, vu ?
: mais j'ai rien dit !? Bravo Arthur, c'était un coup de maître de faire un double de la Ventouse !!
: je savais que ça allait finir comme ça ...
: tu es mon héros !!!
: et galèèèèèèèèèère ...*

" Hasta la vista, matadores !!! "

[maîtrisée avec une ventouse ?! je rêve ...]

Cristal reprit brusquement ses esprits en se retrouvant nez à nez avec une ventouse. Elle laissa sa victime et tenta de retirer cette saleté caoutchouteuse qui lui bouchait la vue. En désespoir de cause, elle dut se résoudre à appeler le Joker pour qu'il l'aide, car son imbécile d'arme était solidement accrochée à son visage.

" Marchand ? Si vous m'otez ça de la figure j'accepte d'acheter votre ärm sans plus discuter le prix ... " gémit-elle, la mort dans l'âme.

Le magicien fou eut un sourire pervers, qui ne présageait rien de bon. L'autre, dans la poussière, avait renoncé à lutter. Il croisait les bras avec un air bougon.

* 2 : quel sera le juste prix ...
2 : j'adore ce moment ... Héhéhé ...*

Brutalement, les projectiles du Joker furent arrachés des visages des deux prédateurs ; leurs visages manquèrent de partir avec ... Le vendeur au sol se roula par terre en tenant son visage et en grommelant d'un air menaçant. Pendant ce temps, l'autre se pencha vers Cristal et déclara d'un ton affable :

" 250 pyutas par ventouse ... et 500 pour l'ärm ... "

* 2 : je doute que ça marche ... Mais on peut toujours essayer ...*

Cristal se releva avec un regard meurtrier pour le Joker. Elle lissa son manteau nerveusement, luttant visiblement pour ne pas bondir à la gorge du marchant.

"Bon, grommela-t-elle, retournons dans votre boutique."

Elle tourna les talons et laissa sans un regard l'enfant gémissant de douleur, dirigeant ses pas vers les Ombres. Elle ruminait la façon quelque peu cavalière dont Joker l'avait arrêtée, et bouillait intérieurement. Elle entra de nouveau dans la boutique et attendit que le vendeur reprenne les négociations, n'ayant nullement l'intention de s'arrêter là sur la baisse du prix ... Il pouvait toujours courir pour qu'elle paye sans négocier ...

Le Joker qui se trouvait à terre disparut brusquement dans un nuage de poussière, sans même avoir eut le temps de pousser un cri théâtral de circonstance : son alter-ego venait de le désinvoquer ...
Le jeune homme restant tira un bandage des profondeurs mystérieuses de son manteau et alla ostensiblement panser l'enfant blessé, au cas où on le regarderait. Puis il emboita le pas à Cristal d'un air flegmatique ; mais en fait sa cliente lui donnait du fil à retordre ...

* : elle ne lâchera pas le morceau ...
: 174.99 pyutas !!
: 200.99 pyutas, qui dit mieux ?!
: 199.99 p 100 pyutas.
{Le choeur} : ... HEIN ?!?!
: et de la publicité.
: seulement ?
: le prix réel de l'ärm.
: ah ?
: de cette manière nous nous attirerons la réputation d'un marchand scrupuleux et honnête ... que nous utiliserons à notre profit plus tard.
: ... il fallait y penser. *

Après être revenu s'installer paresseusement derrière son bureau, le Joker fit sa proposition à Cristal. 100 pyutas.
Et de la pub'.

* 100 pyutas ? J'gnore ce qu'il a en tête mais cette offre est beaucoup plus alléchante que ce qu'il me proposait avant ... *

La jeune fille ouvrit la bouche pour donner son accord, quand elle réalisa la signification de la deuxième partie de la phrase du marchand.

" De la publicité ? Hum, je crains de ne pas être la personne la plus adéquate pour ce genre de projet ... mais j'accepte votre offre ! J'expliquerai à mes victimes d'où provient l'ärm qui les tue Marché conclu ! "

Avec un petit sourire satisfait, Cristal sortit 100 pyutas de son large manteau noir, et attendit que le Joker lui donne son ärm ... Cet ärm qui lui plaisait tant ... Oui, elle savait déjà à quel point il lui permetrait de faire souffrir toujours plus ceux qu'elle rencontrerait ...

Devon entra dans la boutique du Joker. Il avait l'intention de dépencer son précieux argent. Oui, moi aussi je suis d'accord, il va neiger.
Bon reprenons où nous en étions, notre radin entra en personne dans la miteus.. euh... la charmante boutique de Joker pour s'offrir un arm.


Il eut une belle surprise en poussant la porte. Un ange, une vision céleste, que di-je, une immortelle descendu de son trône (de jade) pour l'aimer.

"Cristal !"

Devon sauta dans les bras de sa chère et tendre, façon Electre évidement.

"Je suis désolé ! Pardonne moi ! J'ai été indélicat avec toi et je le regrète profondément. Voilà plusieurs jours que je ne t'ai pas vu, tu me manques Cristou !"

D'un coup l'attitude de Cristal changea. Son air légèrement arrogant laissa place à un défilé de sentiments contraires, joie et peur se mêlaient dans son regard. Elle eut un mouvement de recul, cherchant à dissimuler dans l'ombre de la boutique la rougeur subite de ses joues, pourtant si pâles d'habitude ...

" Ma ... marionnettiste ... bégaya la jeune fille. Je ... "

Elle s'interrompit, gênée à la fois par l'attitude de Devon, la présence du Joker, et le fait qu'au fond, elle ne savait pas quoi dire. Son coeur battait à la chamade, comme jamais auparavant. Ses pensées tourbillonaient, incohérentes. Elle ne voulait pas se montrer faible, surtout devant quelqu'un, et surtout devant le Joker, qu'elle sentait prêt à user de tout argument permettant un chantage, mais, incapable de réagir, elle laissait Devon la serrer dans ses bras, paralysée, le souffle court, effrayée de trouver ce contact agréable, si agréable ...

Devon cessa d'embêter Cristal quand il s'apperçut de la présence de l'abominable Joker. Il le reconnu sans peine.

"Tiens, mais tu n'es le type qui me doit une somme si importante qu'elle égale presque le déficit national américain ? Joker, c'est bien ça ton nom ? Ca m'arrange que tu sois aussi vendeur d'arm, si tu veux on peut faire un marché. Tu m'offres l'arm que je désire, et en échange j'efface la moitié de ton ardoise. Tu es d'accord n'est-ce pas mon ami ?"

Devon souriait, conscient de faire une bonne affaire.

Cristal profita de ce que Devon ne lui prêtait plus aucune attention, du moins en apparence, pour se reprendre. Son sourire légèrement cruel et hautain revint se poser sur ses lèvres, même si, étrangement, il paraissait moins ... moins assuré peut-être ? Toujours est-il que la jeune fille, au prix d'un violent effort sur elle-même, parvint (presque) à se comporter comme si le marionnettiste n'était pas présent à côté d'elle, si proche qu'elle aurait pu le toucher, se jeter dans ses bras et ... Non. Ne pas penser à cela.

Elle se tourna à nouveau vers le marchand, qui à présent devait s'occuper de deux clients à la fois, et quels clients ... Pas des plus faciles. Elle l’observa attentivement, plus attentivement qu’elle ne l’avait fait en entrant dans cette boutique miteuse la première fois ; mais il est vrai qu’alors elle ne cherchait pas à oublier que … *Oublie*

Le vendeur, elle le remarquait seulement maintenant, semblait … comment dire ? Instable ? Oui, cela lui convenait plutôt bien. Car pourquoi un honnête commerçant, disposant de tout son esprit, se cacherait-il derrière une étagère, dans sa propre boutique qui plus est, pour échapper à un client ? Car c’était visiblement ce que le Joker cherchait à faire. Cela l’avait pris quand Devon était entré, se souvint-elle d’un coup. Devon …

Elle s’approcha du Joker pour se donner une contenance.

Puis-je vous rappeler, monsieur, fit Cristal en insistant inconsciemment sur le "monsieur" d’un ton qu’on pouvait qualifier de méprisant, que nous étions en train de conclure un … accord commercial … (léger sourire) Et la jeune fille de rester une fraction de seconde la bouche ouverte, cherchant son souffle, arrêtée dans sa phrase par la pensée qui lui venait malgré elle … * … un accord commercial quand le marionnettiste est arrivé …*

Décidément, elle pouvait faire ce qu’elle voulait, se concentrer sur le comportement du vendeur, chercher le salut dans la parole, Devon était au centre de ses pensées. Toujours. Pour la première fois depuis qu’elle l’avait rencontré, elle osa regarder la vérité en face. Elle était obsédée par ce jeune homme.

Elle se secoua une fois de plus, troublée par ce qu’elle venait de comprendre sur elle-même, et tendit ses 100 pyutas au Joker, le poing fermement resserré dessus bien sûr, attendant que le vendeur lui donne son ärm pour relâcher son étreinte … et s’enfuir loin de ce marionnettiste qui la troublait tant.

Durant un instant, le temps suspend son vol : le Joker pense. L'affaire lui semble alléchante, mais c'est justement ce qui l'inquiète ... Cela et le fait que c'est Devon qui la propose, en plus. Dans la salle immense de son crâne, des esprits tapageurs se concertent ... Oui ? Non ? Peut-être ? Anguille des millénaires et crevettes ah non cette proposition est rejetée elle ne correspond pas à la délibération du moment. Un peu de responsabilité que diable !!
Il a décidé (c'est pas trop tôt). Il sort de sa planque, un air indéchiffrable plaqué sur la face. On dirait qu'une vague d'émotions contradictoires tourbillonne sur son visage lunaire ... ben oui en fait c'est un peu ça, faut vous habituer c'est Joky tout craché là.
Levant les bras au ciel, le marchand aux yeux déments prend enfin la parole.

" Soit. Nous acceptons votre offre généreuse, mais en émettant toutefois une infinitésimale petite réserve : nous vous accordons un bon de 150 pyutas, mais pas plus. Selon l'ärm que vous désirez vous aurez peut-être à débourser quelques pièces supplémentaires. Cela vous convient-il ? "

Durant sa tirade ouvrant le bal des négociations à battons rompues, le Joker entreprit une action troublante : tandis qu'il regardait son interlocuteur marionnettiste de l'oeil droit, son oeil gauche, parfaitement indépendant, avait choisi quant à lui de surveiller Cristal (ce qui dénote une certaine forme d'intelligence, il a compris qu'il vaut mieux la surveiller celle-là). Et de plus, les bras du Joker agissaient de même : l'un deux étayait ses paroles de gestes excessifs (Joky est p'têt italien ?) tandis que l'autre jonglait, narquois, avec l'ärm vendu au Pion ; son demi-regard insistant aurait fait comprendre même à Silverwing qu'il fallait payer d'abord. Pensez-vous, le voleur avait bien remarqué la volonté aussi violente que marquée de sa cliente à se carapater du lieu des transactions ... Et ce n'est une révélation pour personne de savoir que partir sans laisser au vendeur le temps de compter l'argent est mauvais pour le commerce.

A propos, pourquoi voulait-elle partir, au juste, elle, humm ? Quelle que soit la signification de son geste, ce ne sera qu'une question de temps avant que quelqu'un ne l'analyse, ne la dissèque, et ne mette alors à la disposition de tous un moyen de pression redoutable, contre celle qui, potentiellement, ne l'est pas moins. Alors on prend note, on prend note ...

Le sens de l'observation est une arme : dévastateur pour qui sait le manier ...

Le Joker lançait l’ärm, et le rattrapait, et le relançait aussitôt … Cela mettait les nerfs de Cristal en pelote. Ce marchand prenait des risques … enfin, aurait pris des risques si la présence de Devon ne coupait pas à la jeune fille toutes ses envies meurtrières … mais ça, le vendeur l’ignorait, et l’on peut donc affirmer qu’il agissait avec une inconscience assez magistrale. Ou bien il était drôlement sûr de lui l’animal …

C’était incroyable de pouvoir constater à quel point les yeux du Joker parlaient pour lui. Ou, dans le cas de Cristal, UN œil, le gauche, qui roulait exagérément dans son orbite, et que l’on entendait presque répéter d’un ton moqueur « Tu payes d’abord, et après tu as ton ärm ! » Comment une simple sphère de chair pouvait être aussi expressive ? Cela donnait presque envie de la sortir de son logement pour mieux l’observer, afin d’en comprendre tous les secrets … Quelle chance il avait ce Joker que Devon soit là … S’il savait …

L’air de la boutique se faisait de plus en plus oppressant. Il faisait chaud, mais pas seulement … C’était plus une sensation d’être enfermé dans une cage avec trois fauves affamés. Des bêtes féroces. Pourtant, pour un observateur superficiel, tout était normal … Un marchand, deux clients, qui discutaient des prix avec calme, quoi de plus banal ? Mais s’il était entré dans l’échoppe, cet observateur, il aurait bien senti, lui aussi, que les trois personnes en présence étaient de l’espèce de ceux qui ne font pas de cadeaux. Jamais.

Le regard du marchand pesait sur la jeune fille. Comment arrivait-il à surveiller d’un œil un client, et de l’autre suivre les gestes de Cristal, c’était une bizarrerie de plus à mettre sur son compte, déjà fort chargé … La main de Cristal se resserra sur la poignée de pièces. Enfin, avec un coup d’œil meurtrier vers le Joker, elle laissa tomber son paiement sur le comptoir devant lui. Le tintement brisa le silence quasi-total de la petite échoppe. Ce bruit métallique se faisait agressif, comme s’il voulait à lui seul compenser tout ce que la jeune fille n’avait pas fait subir à ce chanceux de marchand.

Voilà, c’était fait, le Joker avait gagné, elle avait cédé la première. À présent elle le surveillait avec acuité. Il ne pourrait pas la voler sur cette transaction, elle était bien trop vigilante. Les bras croisés, la tête légèrement en arrière, ce qui lui conférait un regard méprisant, elle toisait le vendeur, attendant à bout de patience qu’il recompte son argent, et qu’il lui donne enfin son ärm …

Tandis que le côté droit de son visage étudiait Devon avec une attention soutenue, en attendant avec avidité la fin de sa financière réflexion (enfin c’est ce qu’il croyait le Jokinou, parce qu’en fait Dev’Dev’ cherchait sans doute la meilleure formulation pour les protestations véhémentes contre les abus vénaux qui jaillirait bientôt de sa gorge de radin à l’agonie … ou quelque chose dans ce goût-là en tous cas …), le reste du corps élancé du Joker se trouvait présentement en arrêt devant le joli petit tas de pièces jaunes d’or que Cristal venait de déposer sur la table avec une certaine –comment dirais-je ?- tension d’une intensité telle qu’elle semblait toucher à une sorte de pulsion de déchiquetage envers le marchand (rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Elle voudrait seulement le dissoudre, pas lui arracher les membres.). On aurait dit que le schizophrène gravait cette scène dans sa mémoire pour en faire un jour un quelconque gribouillage, à vendre hypothétiquement à des gogos de passage. L’observateur attentif aurait pu compter le nombre de pièces dans la prunelle gauche du jeune homme …

Le témoin extérieur, dans la foulée, remarquerait aussitôt, par de discrets signaux corporels, que, parmi les deux clients du Joker, l’un d’eux nourrissait une envie de meurtre envers cet empêcheur de tourner en rond, tandis que l’autre, d’une manière similaire qui le rapprochait de son congénère, comptait également l’homicide comme une option possible tout à fait acceptable si ce crétin refusait encore de payer ses dettes.
Mais l’escroc restait impassible. En ignorant aussi ouvertement l’atmosphère, lourde comme dans l’instant qui précède un orage de mousson, qui régnait en sa boutique pittoresque (c’est à dire miteuse), le Joker faisait montre d’un courage exemplaire que l’on mérite de louer –ou bien d’une inconscience abyssale qui flirtait dangereusement avec la volonté de suicide de certaines de ses personnalités, c’est selon. Mais moi qui connaît bien la bête je pense pouvoir pronostiquer sans grand risque de me tromper que la seconde possibilité est malheureusement –pour lui- largement plus probable (à peu près autant que de perdre en jouant au loto si vous voulez savoir).

Mais revenons à nos moutons.

Avec une circonspection exaspérante qui paraissait spécialement étudiée pour vriller encore plus les nerfs de la pauvre Cristal (qu’est-ce que je disais), le voleur auscultait séparément chacun des attirants petits pyutas du paiement de sa cliente de toutes les manières imaginables pouvant servir à déterminer scientifiquement si le juste salaire de sa peine marchande que l’on a en face de soit ne serait pas par le plus grand des hasards un conglomérat de bouts de métal sans valeur, des chocolats rigolos ou des soucoupes volantes martiennes déguisées.
Certaines entités possédant le Joker sont véritablement sadiques, et aussi douées pour la torture psychologique que le Pion infortuné pour la torture mentale. C’est pourquoi, avec l’insouciance précédemment évoquée qui le caractérisait en ce moment, l’inénarrable Gémini Cricket (ahaha, vous aviez oublié son vrai nom pas vrai ?) sifflotait en travaillant. Il massacrait allègrement une chanson populaire (qui parlait d’un mec beau comme un dieu, je me comprend) en la transformant en une variante intéressante du crissement de craies sur un tableau noir. On sentait bien qu’il allait d’une minute à l’autre faire « tch tch tch » ou se curer l’oreille avec le doigt réservé à cet usage (l’auriculaire, nommé par les Grecs en fonction du sort que Dame Nature, dans son infinie prévoyance, lui prévoyait).
Mais … Qu’est-ce ?!?! Mesdames et Messieurs c’est incroyable on dirait qu’il vient de comprendre … Il vient de renoncer sous mes yeux à la spectrophotométrie de la solution d’espèces sonnantes et trébuchantes dans l’acide … Ah, c’est vrai, il faut sacrifier une pièce pour ça. Mes excuses, fausse alerte.
Sarcasmes mis à part, le simple fait que le marchand vénal ait renoncé à tester chaque pièce une seconde fois par prudence prouve que l’instinct de survie était encore chez lui une réalité (et non pas une vague légende comme on aurait facilement pu le croire en le regardant bosser !). Il n’avait même pas essayé d’empalmer un peu d’argent pour pousser la tortionnaire à en dépenser plus ; mais il faut dire que le regard de Cristal peut-être tellement expressif …

La tête du vendeur se tourna brièvement vers la fille encapuchonnée. Son œil droit était toujours fixé sur Devon ; l’autre poussait le vice jusqu’à imiter un clin d’œil complice à l’intention de son interlocutrice. Néanmoins, il ne se fermait pas tout à fait : il préférait rester mi-clos, des fois que Cristou explose sans prévenir …
« Voila voila, tout est en ordre, voici votre ärm … »
La voix du Joker paraissait aigrelette dans l’ambiance tendue à tout rompre de la bâtisse ; un ton exagérément guilleret achevait de convaincre son auditoire que c’était un ahuri incapable de voir sa mort arriver, même si celle-ci lui aurait refilé des coups de bâton en braillant.
En fait, c’était le but recherché.
Un iceberg est toujours plus gros sous l’eau que sa partie émergée ; de même, sonder le psychasthénique était une tâche vouée à l’échec, car on ne découvrait jamais que le côté braillard, festif et quelque peu hystérique du dément. Le reste, le plus intéressant, se trouvait masqué par un gugusse déconnecté de la réalité …

Le Joker, d’un geste négligent, lança son achat à Cristal.

Le Joker comptait, examinait, vérifiait. Le tout en surveillant Devon ET en surveillant également Cristal. Ce type n’était pas humain. D’ailleurs, une preuve de plus en faveur de cette hypothèse était que n’importe quel humain, même stupide, possède un tant soit peu l’instinct de survie ! Mais pas Joker visiblement … Dans le cas contraire, comment aurait-il pu, sous le regard meurtrier que lui lançait Cristal, continuer en sifflotant ses multiples vérifications de l’authenticité de la monnaie ? Et en parvenant à siffler aussi faux, de plus, tellement faux qu’il était flagrant qu’il le faisait exprès ! Il voulait mourir ou quoi ?

Cristal sentait la colère monter en elle. Il lui parut absolument incroyable de constater qu’elle parvenait à se contenir si longtemps. Ce satané marchand jouait avec ses nerfs ! Le temps passait. Lentement. Lentement … Aucun tic-tac bienveillant ne comptait son passage, non, il était découpé en tranches bien épaisses par les « clac » périodiques des pièces vérifiées posées sur le comptoir. Et c’était long … Si long … Bien trop long pour la jeune fille, qui se sentait de plus en plus oppressée au fur et à mesure que le temps passait. Était-ce le petit jeu de Joker ? La présence de Devon, si proche ? Les deux ? Cristal étouffait, et elle préférait songer que c’était de rage.

Et le marchand continuait sa tache méthodique … Et il continuait à massacrer la chanson qu’il sifflait … Cristal s’agita, les nerfs à fleur de peau. Ce type était impossible ! Elle n’osait pas le quitter des yeux, à peu près certaine qu’alors il la truanderait d’une manière ou d’une autre, mais ce n’était pas l’envie qui lui en manquait. Au moins, elle n’aurait plus subi son regard moqueur, qui semblait avoir pour but de vérifier scientifiquement combien de temps un être humain pris au hasard pouvait résister à une pulsion de meurtre …

Enfin, à l’instant précis où Cristal, n’y tenant plus, allait lui bondir à la gorge, le Joker termina son interminable vérification. Il leva la tête vers la jeune fille et lui dit d’un ton exagérément joyeux et fier de lui « Voila voila, tout est en ordre, voici votre ärm … » Heureusement pour lui que l’atmosphère était si oppressante ! Heureusement pour lui que Cristal voulait quitter cette boutique minable ! S’il savait quelle chance il avait ! Car avec cette voix, si … joyeuse, heureuse, chaleureuse ! En un mot, exaspérante ! il avait encore ravivé les envies de meurtres de la jeune fille, qui elle-même n’aurait pas cru cela possible.

Il lui lança négligemment son ärm. Cristal le rattrapa, brusquement. Rien que cette façon de saisir un objet aurait fait fuir n’importe qui doté d’un semblant d’instinct de conservation, pour peu que cette haine ait été dirigée contre lui. Mais le Joker ne semblait même pas s’en rendre compte, et se tournait déjà vers Devon ! L’aura de magie de la jeune fille s’accrut d’un coup. Sa main resserrée sur l‘ärm vendu tremblait de colère. L’observateur extérieur, s’il était magicien, aurait parié à la mort du marchand dans les secondes suivantes, terrassé par l’objet qu’il avait vendu. Mais non. Après un dernier regard meurtrier envers le Joker, Cristal tourna les talons et sorti de la boutique en claquant la porte, qui pourtant ne lui avait rien fait, contrairement à son propriétaire …

Arrivée dehors, elle se retourna. Dans la petite échoppe poussiéreuse, les deux hommes ne lui prêtaient plus aucune attention. Son regard se posa sur Devon, et toute sa colère s’évanouit, remplacée par de la gêne. Elle remonta son capuchon sur ses cheveux aile de corbeau et, tournant le dos à l’objet de ses pensées, s’enfuit en courant dans les rues de la ville.

Devon se sentait particulièrement affecté par l'ambiance tendu qui régnait dans la boutique. Mal à l'aise, il entreprit de jouer avec Tokun a pierre feuille ciseaux en silence, histoire de se faire oublier.
Quand Cristal quitta la boutique, il esseya de la retenir, mais elle filait plus vite que le vent, le laissant seul avec Joker.

"Euh, marché conclu mon bon ami ! Je voudrais que tu me fasses un dimention arm comme ceci. Je l'aurai bien fait moi même, mais je ne connais rien aux dimetion arms."

Il sortit de sa poche un papier chiffonné, sur lequel était griffonné un schéma. devon n'aimait pas du tout expliquer tous les secrets de son art à un étranger, et qui plus est à un ennemis, mais là il n'avait pas le choix.
Sur le bout de papier, était dessiné le plan d'une maison. Elle comportait quatres pièces : le séjour, la cuisine, la chambre et la salle de bain.

"Je voudrais que l'ennemis soit téléporté dans une dimention à cette image, une maison de poupée où il serait à l'échelle du décors, tout petit. Je te demande juste de me faire ça s'il te plait, moi je me charge du reste. C'est à dire de mettre en place les habitants des lieux."

Le Joker fronça des sourcils, prenant de ce fait un air songeur qui ne lui était pas familier. Son œil gauche, lentement, se focalisa sur Devon avec une fixité particulièrement troublante.
Une dimension de poche en forme de maison de poupée (NdA : dimension de poche : dimension interne à une seconde dimension (dite « externe ») dont les dimensions intérieures sont supérieures aux dimensions extérieures dans le cadre de la dimension externe) … Un ärm qui en impose … Mais suivant le même principe, on pourrait réaliser des artefacts innombrables, qui colleraient chacun au mieux à la personnalité de leur propriétaire : à 150 pyutas l’ärm, pour une clientèle espérée de … Voyons voir …

Devon se demanda vaguement pourquoi le vendeur le regardait comme une apparition (comme ses pièces d’or de tout à l’heure en fait). Peut-être avait-il une poussière sur son délicat visage d’albâtre ? Faut dire qu’avec ce magasin sordide …

Le dingue s’ébroua enfin, comme s’il essayait à contrecœur de se sortir d’un rêve particulièrement envoûtant. Quand il prit la parole, ce fut pourtant d’un ton parfaitement neutre et habituel … ce qui était d’autant plus suspect.


« Votre idée est intéressante ; mais comme tous les éclairs de génie fulgurants, le monde n’a pas encore daigné vous réserver je veux dire qu’il faut fabriquer spécialement l’objet, ce qui nécessitera des frais supplémentaires … »
Un frisson d’anticipation courut le long du dos effilé du schizophrène ; il se rattrapa en hâte.
« … mais ça ne devrait pas dépasser le crédit que nous vous allouons rassurez-vous. »
Le marchand se gratta pensivement le menton.
« L’ébauche des enchantements devrait prendre quelques jours, à l’estime … Je vous conseille, durant ce temps d’attente que nous nous efforçons d’écourter, de préciser quelques détails de votre projet, comme la couleur du papier peint par exemple … Afin que vous puissiez obtenir un résultat qui satisfasse au mieux votre sens de l’esthétique. »

Mentalement, le Joker prit quelques notes sur le fonctionnement présumé du résultat final : il ne faisait certes que vendre des ärms, mais à force de faucher des bouquins sur les théories magiques en vigueur … Il faudra néanmoins embaucher un forgeron compétent …
Loin en dessous de la surface de ces pensées mercantiles, là où dans un véritable océan se seraient trouvés des calmars géants du genre Architeutis (demandez à Abysse ) , une personnalité vagabonde se dit : * et si … on récupérait cette idée pour nous … qu’est-ce qu’on pourrait en faire ?... *

« Revenez dans … trois-quatre jours, d’accord ? »

Devon réfléchi quelques instants puis dit à Joker :

"Quelques jours ? Bon ok. L'important c'est que je l'ai pour le tournoi."

Il remerçia le vendeur et s'apprèta à patir quand il changea d'avis et décida de rester. Bizarrement, Devon rougissait légèrement.

"Euh Joker, je peux te demander un service ? Voilà, il y a une fille qui me plait, et j'aimerai lui écrire une lettre. Le seul problème c'est que je ne sais pas écrire. Alors es-ce que tu peux le faire sous ma dictée ? S'il te plait, tu es mon ami, je te fais confiance."

Sous la caboche trentenaire de l’arnaqueur fou, des réactions conflictuelles luttaient pour la suprématie …
* : ça dépend, ça paye bien ?
: soyez gentils, accédez à l’humble demande de cet amoureux transi …
: pas question, il faut le faire souffrir !!!
{?} : hem …
: nan, je l’aime pas lui.
{?} : hé ho …
: il parle de la petite qui vient de se carapater ?
{?} : juste une question : pourquoi il ne le fais pas lui-même ?
…
{?} : le contrarier, d’un autre côté, me parait, à mes yeux, une mauvaise idée …*

Le nouvellement proclamé « copain de Devon » se pencha vers celui-ci avec une sorte de sourire hystérique, si large qu’il mettait en péril la stabilité de la partie supérieure de la tête du voleur ; d’un autre côté, la situation mentale de ce mec instable peut difficilement empirer, pas vrai ?

« Mais bien sûr !!!!! J’adore faire plaisir aux jeunes garçons [0_0fais gaffe Devon !!!] !!!!! »
Le Joker murmura alors à l’oreille de son client (pas très rassuré le client lol), effleurant presque le lobe charnu de ses lèvres fines :
« Mais pour cela, à moins que ce ne soit un message anonyme, il faudra d’abord me montrer ton écriture, que je puisse l’imiter, hum ? Je peux reproduire n’importe quelle écriture tu sais … »
Sur ce point-là, le vendeur ne mentait absolument pas : quelques unes de ses mentalités trompaient leur ennui en apprenant à imiter les signatures et l’orthographe d’autrui, ce qui aidait grandement leurs congénères sans scrupules. En revanche, le motif de l’escroc n’avait rien à voir avec ce qu’il avait prétendu : il tentait de pousser le marionnettiste à se dévoiler … Connaître son écriture et l’adresse précise de sa bien-aimée serait un bien grand pas sur le chemin tortueux du maître chanteur que suivait le dément … Il pourrait déjà écrire de fausses missives pour pousser la jeune fille à la rupture, peut-être même au suicide si elle l’aimait vraiment : si la dulcinée était bien celle à laquelle il pensait, quoi de plus facile que de falsifier un faire-part de décès émis par la Reine (qui a révélé son écriture en placardant une énorme affiche sur la place publique, pour le tournoi, vous vous souvenez ?) ? L’interception de messages véritables était également une option tentante …
Tout cela était risqué, bien sûr, la colère du jeune homme aux marionnettes serait sans doute terrible … mais ce genre de pratique pouvait toujours servir à sauver la mise, si ça se trouve.
Et puis sans risques, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue, hein ?

Voila à quoi songeait le pickpocket hypocrite tandis qu’il offrait à Devon le plus beau sourire de crocodile qu’il avait à offrir …

Devon regarda ses mains.

"Mon écriture ? Je crois que tu ne comprend pas, mais c'est bien là le problème. Je ne sais pas écrire du tout, quand je prend la plume et que je recopie les premiers mots que je vois sans même les comprendre, et bien la seule chose que j'arrive à produire c'est un affreux amas de gribouillis. Mais ça je ne veux pas qu'elle le sache, alors s'il te plait, rend moi ce service."

Il prit un papier qui trainait sur le comptoir de la boutique, une plume et un encrier qui trainaient là également, et tendit le tout à Joker.

"S'il te plait, accepte."